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La police qui les surveillait, car toute association secrète la fait nécessairement intervenir, essaya de leur imputer l’attentat de Fieschi. Mais on sait aujourd’hui que si les républicains révolutionnaires ne réprouvèrent pas le régicide, jamais ils ne le conseillèrent, encore moins le pratiquèrent. Mare Dufraisse, cependant, nous l’avons vu, blâmait ce scrupule. Un panégyrique d’Alibaud fut même publié, sous forme d’une ode au roi, et on y lisait ces vers :


Demain le régicide ira prendre place
____Au Panthéon avec les Dieux !
De vols, d’assassinats eût-il flétri sa vie,
Il redevient sans tache et vierge d’infamie
____Dès qu’il se lave au sang des rois !


Il faut dire qu’Alibaud avait soulevé dans l’opinion plus de pitié que de haine. On ne pouvait en effet le mettre au même rang qu’un scélérat vulgaire comme Fieschi. Barbès l’admirait, nous dit M. G. Weill ; quant à Louis Blanc, il en parle comme d’un martyr de l’idée de justice poussée jusqu’à la cruauté. Lamennais, de son côté, indigné de l’attitude des pairs qui jugèrent Alibaud, déclarait qu’on le rendait presque sympathique au peuple.

Les deux hommes qui venaient, par la force des choses, d’être placés à la tête du parti républicain d’action se ressemblaient aussi peu que possible. Blanqui était froid et fermé, l’esprit toujours tendu, la pensée sans cesse en action. Nous l’avons vu apparaître aux premiers jours du régime et poser la question sociale devant les juges. Pour lui, la République est le moyen de réaliser le socialisme, et c’est aux prolétaires qu’il s’adressera de préférence. Il a reçu de Buonarotti la doctrine de Babeuf. Est-ce donc la communauté spartiate, étroite et dure, qui va demeurer son idéal ? Non. Bien qu’il ne doive jamais être un théoricien, ni devancer en esprit les temps futurs pour en exposer le plan détaillé, il fient à formuler son idéal social, à proposer un but à l’action révolutionnaire des républicains qui l’entourent.

Il a fondé vers 1834 un journal, le Libérateur, où. il se livre surtout à d’âpres critiques contre la monarchie, en des articles où, dit Geffroy, « la haine refoule la tendresse ». Mais il se proposait aussi, dans cette feuille qui n’eut que quelques numéros, d’exposer sommairement, mais avec la précision qui est sa marque distinctive, les motifs de sa critique sociale et le moyen d’en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme.

« La richesse, disait-il, dans un article qui ne parut pas et fut publié seulement en 1879 dans la Révolution Française, la richesse n’a que deux sources : l’intelligence et le travail, l’âme et la vie de l’humanité. Suspendez un seul instant ces deux forces, l’humanité meurt. Toutefois elles ne peuvent agir qu’à l’aide d’un élément positif : le sol, qu’elles mettent en œuvre par leurs efforts combinés. Il semble donc que cet instrument indispensable d’activité devrait appartenir à tous les hommes. Il n’en est rien.