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Car l’ennemi commun est là qui guette, tout prêt à profiter des divisions qui surgiraient entre ses vainqueurs pour prendre sa revanche. À Nantes, des ouvriers ont brisé une machine à pêcher le sable. Le journal l’Ami de la Charte affirme que, lors de l’émeute, des « personnages suspects » se frottaient les mains et encourageaient les briseurs de machines en disant : « Ha ! ha ! c’est bien. En voilà de la liberté, de la vraie liberté ! Cassez, brisez tout ; plus vous en ferez, mieux ce sera. »

La presse royaliste s’exposait à ces reproches, il faut bien en convenir. À propos de l’incident de Nantes, elle annonçait que, le lendemain matin, des « placards incendiaires » avaient été apposés sur les murs. Or, en fait de placards incendiaires, il n’y avait sur les murs de Nantes que des affiches, très modérées de ton, demandant que l’autorité s’occupât « du moyen d’exercer les bras inactifs », parce que « sans ouvrage, pas de pain et qu’il faut du pain pour vivre. »

Pour sa part, la Quotidienne explique à sa manière le bris des machines et toute l’agitation ouvrière. « La multiplication exagérée des forces par les machines préparait depuis longtemps la crise actuelle », dit le journal légitimiste. Pour la Quotidienne, la révolution qui vient d’avoir lieu est « l’occasion plutôt que la cause » de cette crise. Cela est parfaitement exact. La Quotidienne poursuit en raillant « les adeptes de l’économie politique que nous allons enfin voir à l’œuvre ». Elle ajoute que « cet emploi démesuré des machines… devrait blesser les libéraux conséquents à leurs principes, puisqu’il tend incessamment à annuler les petits producteurs au profit de l’aristocratie industrielle ». Et fielleusement elle glissait : « Aujourd’hui que la révolution se fait par cette aristocratie, de tels mouvements se réprimeront facilement sans doute ». Car, si la répression ne venait pas, « si les rôles changeaient, qui sait où nous serions conduits ? La révolution de 93 a emporté bien autre chose que des mull jennys, des presses mécaniques et des machines à haute pression. »

En réponse à cet article, le Journal du Commerce accusa les rédacteurs de la Quotidienne de se faire « ouvertement les théoriciens des luddistes ». Il affirma que « MM. de Polignac et consorts comptaient avoir pour auxiliaire dans l’exécution de leur coup d’État la faim de 40 ou 50.000 ouvriers ». Ils durent décompter, car les ouvriers furent tous du bon côté des barricades. « Il est vrai, ajoute le journal libéral, que, dans la matinée du 30, quelques ateliers d’imprimerie furent envahis et quelques presses mécaniques brisées par de soi-disant ouvriers imprimeurs ; mais pour deviner quels étaient les véritables auteurs de ce désordre passager, il faut savoir que la fureur des luddistes s’exerça particulièrement contre les presses des journaux libéraux. »

L’histoire de nos luttes politiques a prouvé que ce n’est pas calomnier les partis conservateurs que leur attribuer l’espérance de tirer ce qu’ils estiment le bien de l’excès même du mal. Des premiers temps de l’Assemblée nationale aux Chambres d’aujourd’hui, nous avons toujours vu le côté droit employer la surenchère démagogique pour tenter de faire échouer les propositions démocratiques ou