Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ments du désespoir, forteresses vouées à la défaite comme leurs défenseurs au massacre.

Ils barricadèrent les rues Beaubourg, Transnonain, aux Ours et les rues adjacentes, et attendirent que Paris soulevé par les chefs de sections vint leur donner de l’air. Mais les chefs de sections étaient arrêtés depuis la veille. Quarante mille soldats tenaient Paris en respect, et d’ailleurs il ne songeait pas à se soulever. À ces quarante mille soldats s’étaient joints les gardes nationaux de la banlieue, enragés contre ces Parisiens en qui ils ne voyaient que les maraudeurs de leurs cerises et de leurs lilas, c’est-à-dire les pires ennemis de la propriété.

Le combat se terminait le 14 par le massacre des habitants du numéro 12 de la rue Transnonain, d’où un coup de fusil avait été tiré sur la troupe qui enlevait la dernière barricade. Ce fut un sauvage égorgement d’hommes et de femmes sans défense. On tuait à la baïonnette, on achevait à coups de crosse. Vaise était dépassé en horreur. La boucherie de Transnonain ne devait pas être dépassée par celle de mai 1871, qui s’exerça seulement plus en grand et pendant une semaine.

Le surlendemain éclatait, aussitôt réprimé, un mouvement militaire qui montra l’étendue de la propagande républicaine. Quelques sous-officiers de la garnison de Lunéville, membres des Droits de l’Homme, avaient formé le projet de soulever les trois régiments de cuirassiers dont ils faisaient partie, de marcher sur Metz et sur Nancy, d’y soulever l’année, grâce aux amis qu’ils avaient dans la garnison des deux villes, et de la diriger sur Paris pour se joindre à l’insurrection organisée par les sections. Le chef de cette conspiration, Thomas, était un patriote ardent, aussi remarquable par l’intelligence que par le courage.

Mais les conjurés étaient trop nombreux pour que leur secret fût gardé. Le 15 avril au soir, la veille même du jour où ils devaient se mettre en marche, ils étaient arrêtés et mis sous les verrous. De timides tentatives de mouvement, on ne peut même dire d’insurrection, se manifestèrent sur divers autres points : à Grenoble, à Clermont, à Marseille, à Saint-Étienne. Il n’en sortit rien, que des arrestations en masse.

Car la répression fut impitoyable. Partout les suspects furent traqués. Deux mille citoyens furent arrêtés en vue du procès monstre que le pouvoir s’apprêtait à intenter au parti républicain devant la Chambre des pairs transformée en Haute Cour. Les insurgés de Lyon, républicains et mutuellistes mêlés, ceux qui s’étaient battus et ceux qui étaient restés chez eux, emprisonnés en masse, furent amenés à Paris. Les prisons regorgeaient, et l’on arrêtait toujours et partout quiconque était suspect de républicanisme. Thiers n’était pas apaisé par son atroce victoire de Transnonain. Sa férocité s’acharnait sur les vaincus : il rêvait de les exterminer par l’échafaud et la déportation.

Dans les prisons encombrées, les prisonniers étaient maltraités avec une brutalité inouïe. Carrel, prisonnier lui-même, protesta contre les traitements indignes qu’on faisait subir à des accusés, que la loi présumait innocents tant qu’une condamnation ne les avait pas frappés. Il protesta, avec sa violence froide et péné-