Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pour briser cette coalition, les fabricants se réunirent en juillet et publièrent dans les journaux lyonnais un avis par lequel ils se solidarisaient étroitement dans la résistance aux mutuellistes et aux ferrandiniers unis. Cet avis était ainsi rédigé :

« Un grand nombre de fabricants ayant considéré que donner de l’ouvrage à un ouvrier qui refuse, par suite de coalition illégale, de travailler pour une maison de fabrique, serait se rendre complice de la coalition et responsable du dommage matériel causé à ladite maison, portent à la connaissance de ceux de leurs confrères qui pourraient l’ignorer, qu’ils ont pris entre eux l’engagement d’honneur de n’occuper aucun métier venant de travailler pour une fabrique mise en interdit. »

Au commencement de 1834, les ouvriers en peluche sont avisés d’une diminution de cinq sous par aune. Ils refusent et tous les ouvriers de la fabrique décident, par un vote du Devoir mutuel, de se solidariser avec eux et de cesser partout le travail. Les ferrandiniers font cause commune avec la grève, tout en protestant contre le caractère général de la cessation de travail, ; ils auraient voulu qu’il continuât chez les fabricants qui payaient le tarif. Mais les chefs d’atelier avaient sur le cœur la déclaration de juillet, et ils voulaient opposer à l’entière coalition patronale une non moins entière coalition ouvrière.

Alors, par la force des choses, les mutuellistes, qui se sont jusqu’ici interdit les questions politiques, sont contraints de voir que, s’ils refusent de peser sur la politique, la politique ne se désintéresse pas de leur existence et pèse sur eux. La grève ayant arrêté vingt mille métiers, l’autorité s’était mise en mouvement, et six chefs d’atelier avaient été arrêtés comme meneurs de coalition. Et pour tuer la grève, qui prit fin le 22 février aux anciennes conditions, les rues de Lyon avaient été inondées de soldats. Et voici qu’on préparait une loi sur les associations qui rendrait encore moins possible la défense des intérêts de la corporation. Malgré l’expérience de 1831, ils s’étaient adressés au préfet Gasparin et lui avaient demandé d’intervenir. Mais averti par ce qui était arrivé à son prédécesseur Bouvier-Dumolard, et d’ailleurs partisan des saines doctrines économiques du laisser-faire, il avait refusé toute autre intervention que celle des soldats pour mater les grévistes et des tribunaux pour les juger.

Refuser de toucher à la politique, alors qu’elle les heurtait si rudement, était impossible : les ouvriers le comprirent et plus de 2.500 chefs d’atelier signèrent une déclaration dont voici le passage le plus caractéristique ;

« Les mutuellistes protestent contre la loi liberticide des associations et déclarent qu’ils ne courberont jamais la tête sous un joug aussi abrutissant, que leurs réunions ne seront point suspendues et, s’appuyant sur le droit le plus inviolable, celui de vivre en travaillant, ils sauront résister, avec toute l’énergie qui caractérise des hommes libres, à toute tentative brutale, et ne reculeront devant aucun sacrifice pour la défense d’un droit qu’aucune puissance humaine ne saurait leur ravir. »

À ce moment, l’économiste Ch. Dupin leur adressait une de ces homélies où il se complaisait, et qui invoquaient à la fois les dures lois naturelles qui inter-