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sentant les dix-sept compagnies, rayons terminés chacun par un œil, — le syndic de la compagnie, — accompagné de deux autres plus petits, — les deux secrétaires ».

Mais ce plan symbolique n’était plus applicable, dans sa forme de 1828, à l’organisation de 1832, qui comptait à présent trois mille membres organisés, comme nous venons de le voir, par groupes superposés, tous liés par serment non seulement au secret sur l’association, mais à l’association elle-même qu’on ne pouvait quitter sans parjure. Le banc fraternel, ainsi se nommait la réunion de tous les sociétaires, était seul chargé de prendre les décisions, aux deux tiers des votants, et toute abstention était frappée d’une amende. Le grade de compagnon, constituant un stage d’initiation et donnant droit au vote, n’avait aucun des caractères d’infériorité que nous avons vus chez les renards et les lapins du compagnonnage. Le Devoir mutuel était donc bien un syndicat, autoritaire, certes, comme toute association tenue au secret par une législation hostile, mais profondément égalitaire et démocratique.

Mais de cette démocratie ne faisaient partie que les chefs d’atelier, c’est-à-dire ceux qui possédaient un ou plusieurs métiers. Ne pouvaient, il est vrai, entrer dans le Devoir mutuel les propriétaires de plus de six métiers. Les prolétaires proprement dits, ceux qui n’avaient que leurs bras et travaillaient sur ces métiers à côté du chef d’atelier et de sa famille, demeuraient hors de ce cercle de solidarité. Nous avons vu pour quelles raisons les uns et les autres avaient fait cause commune contre les fabricants en 1831.

Cependant, si liés qu’ils fussent contre le patriciat des fabricants, chefs d’atelier et simples ouvriers n’en avaient pas moins des intérêts distincts, que ces derniers tentèrent de défendre au moyen d’un journal, l’Écho des Travailleurs, bihebdomaire, fondé à la fin de 1833. Si les ouvriers fondèrent un organe pour exprimer et soutenir leurs intérêts, c’est qu’évidemment le Devoir mutuel, exclusivement composé de maîtres d’atelier, bien que chargé des intérêts de la corporation tout entière, s’occupait surtout, cela était inévitable, des intérêts de la catégorie dans I&quelle il se recrutait exclusivement. L’Écho des Travailleurs entra parfois en polémique avec le journal des mutuellistes. La tourmente qui s’élevait à l’horizon allait les emporter tous deux.

L’année 1833 avait marqué une reprise des affaires dans la fabrique lyonnaise. Les ouvriers, tout naturellement, voulurent avoir part aux avantages de cette période d’activité autrement que par une augmentation de gain résultant d’un surcroît de travail. Le Devoir mutuel organisa un mouvement contre les fabricants qui refusaient le relèvement des tarifs et les mit en interdit. Il fut appuyé dans cette campagne par les ouvriers, qui s’étaient organisés en compagnonnage au lendemain des journées de 1831 et dont l’objet principal était la réduction des heures de travail et la limitation du nombre des apprentis. Les ferrandiniers, ainsi s’intitulaient les compagnons, du nom d’une étoffe qu’on avait fabriquée naguère à Lyon, s’associèrent pleinement aux mises en interdit successives prononcées contre les fabricants récalcitrants.