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CHAPITRE XI


TRANSNONAIN


Le duel Bugeaud-Dulong. — La loi contre les associations et les « Droits de l’homme ». Les hommes de la propagande et ceux de l’action. — La direction de l’association passe à ceux-ci. — Organisation de la « Société d’Action. » — Le parti républicain en province. — Républicains et ouvriers lyonnais. — Le « Devoir mutuel » : organisation des mutuellistes. — L’insurrection éclate à Lyon. — Le massacre de la rue Transnonain. — Répression furieuse : Thiers s’oppose à l’amnistie. — Remaniements ministériels.


L’opposition, qui faisait flèche de tout bois et prenait arme de toute main, eut, au commencement de 1834, un nouvel argument, sinon un nouveau grief, dans la guerre sans merci engagée contre Louis-Philippe et son gouvernement. Un député, à la Chambre, dénonçait un jour une lettre du maréchal Soult aux officiers d’une garnison, leur interdisant toute réclamation, fût-elle justifiée, fût-elle légale, contre les mesures disciplinaires qui seraient prises contre eux par leurs chefs. Le ministre de la guerre affirmait la théorie de l’obéissance passive, même à l’injustice, et qui se traduit encore ainsi dans l’armée, où elle a force de loi : L’homme puni injustement doit d’abord accomplir sa punition, et réclamer ensuite.

Appuyant cette théorie monstrueuse, le général Bugeaud s’était écrié de son banc :

— Il faut obéir d’abord !

Le député Dulong, fils naturel de Dupont (de l’Eure), riposta :

— Faut-il obéir jusqu’au point de se faire geôlier ? Bugeaud bondit sous un outrage qui s’ajoutait aux outrages quotidiens de la presse de droite et de gauche, acharnée à lui rappeler sa fonction au château de Blaye. Une explication eut lieu entre lui et Dulong, et l’affaire parut arrangée.

Mais un compte rendu des Débats a transformé en une injure directe l’allusion faite en termes généraux. Le général envoie alors ses témoins à Dulong, qui refuse de rétracter la phrase qu’on lui attribue. Un duel au pistolet a lieu, et Dulong est tué. Un concours de peuple immense se presse à ses obsèques, et on accuse tout haut la cour de l’avoir fait assassiner.

La loi sur les crieurs publics ayant été votée, restait à l’appliquer. Ce fut l’occasion de violentes bagarres entre la foule et la police, notamment sur la place de la Bourse, où les crieurs continuaient d’annoncer leurs placards et leurs brochures, car, nous l’avons dit, la plupart étaient acquis aux idées républicaines et l’un d’eux, Delente, comptait parmi les membres les plus actifs de la société des Droits de l’Homme.

La propagande révolutionnaire n’était donc pas morte. Pour l’achever, le ministère prépara une loi aggravant l’article 291 du Code pénal interdisant les