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CHAPITRE X


LA CONQUÊTE DE L’ALGÉRIE


Le programme du maréchal Clauzel. — Pourquoi l’expédition d’Alger est impopulaire en France. — Le général Berthezène maintient l’esclavage pour se concilier les Arabes — Le duc de Rovigo imite et dépasse la cruauté des Turcs. — Abd-el-Kader suscite le patriotisme arabe. — Il force le général Desmichels à traiter avec lui.


Le retentissement de la prise d’Alger par le général de Bourmont, le 5 juillet 1830, avait été vite amorti par la fusillade des trois journées. L’opinion libérale avait même critiqué l’élévation au maréchalat du vainqueur d’Alger, en qui elle continuait de voir le transfuge de 1815. Le nouveau gouvernement l’avait rappelé et, en septembre, le maréchal Clauzel avait pris la direction des opérations militaires en Afrique.

Il avait la bride sur le cou. Louis-Philippe et ses conseillers n’avaient pas de plan arrêté sur cette expédition, où le gouvernement de Charles X avait cru trouver le moyen le plus propre à dériver les sentiments belliqueux mal assoupis d’un pays déjà las d’une paix de quinze ans succédant à vingt ans de guerre suivis de désastres inouïs. Le maréchal Clauzel se mit en tête de conquérir tout le pays que les Turcs avaient possédé. Cela était logique, en somme ; puisque la France avait détruit leur puissance dans cette partie de l’Afrique, elle se devait de la remplacer. Mais quelle était l’étendue de cette puissance, et où étaient ses limites ? Voilà ce que l’on ignorait à Paris, et voilà ce que n’eût pu dire celui qui était chargé de cette mission.

Il lui sembla que le meilleur moyen d’en venir à bout était de continuer la politique suivie par les Turcs et qui consistait à occuper les villes seulement et à régner sur les chefs arabes en entretenant leurs divisions, en prenant parti dans leurs querelles, en leur imposant notre médiation et notre arbitrage, finalement notre autorité.

Mais si les Turcs étaient des étrangers pour les Arabes et les Kabyles, ils avaient sur les Français une supériorité, capitale pour ces peuples religieux jusqu’au fanatisme : ils étaient musulmans et leur sultan était le commandeur des croyants. Les Français étaient donc doublement des étrangers, des ennemis, puisqu’ils étaient les revenants des croisades, les antagonistes, depuis dix siècles, de l’expansion musulmane, ceux qui avaient fait reculer le flot sarrazin jusqu’aux Pyrénées et commencé à réduire l’empire des héritiers du Prophète, ceux qui avaient dirigé les expéditions offensives au cœur de l’Islam, en Syrie et en Égypte, puis à Tunis.

Et puis, les 30.000 hommes de Bourmont s’étaient égrenés, repassant la mer pour faire face aux éventualités de guerre continentale que redoutait le gouvernement de Louis-Philippe aux premiers jours. Il en restait à peine une dizaine de