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Ayant mené à bien, c’est-à-dire fait voter la loi sur l’enseignement, le ministère poursuivit son œuvre de libéralisme en en proposant une qui ne permettrait de crier sur la voie publique que les imprimés revêtus d’une autorisation de la police. À quoi bon, puisque Guizot avait proclamé à la tribune que la propagande révolutionnaire était morte ! Elle l’était si peu, qu’au dire du policier de la Hodde, « plus de six millions d’imprimés démagogiques avaient été jetés au public dans un espace de près de trois mois. » C’est là un témoignage un peu suspect. Les agents de police exagèrent toujours la force et grossissent toujours l’action de ceux qu’ils font métier de surveiller. Cependant, la propagande républicaine était intense, et nous en donnerons la mesure dans un très prochain chapitre.

Elle était également un peu montée de ton. Nous l’avons déjà constaté. Nous pourrions récuser de la Hodde lorsqu’il dit qu’après la loi des crieurs publics, « chaque jour des pamphlets, dont le titre seul était une offense à l’autorité ou à la Constitution, étaient apportés effrontément au visa de la police ». Et parmi ces titres, il en cite un : « À la potence les sergents de ville ! » et un autre qui paraît lui inspirer une égale horreur : « La Déclaration des Droits de Robespierre. »

Très courageusement pour l’époque où il écrit, Louis Blanc reconnaît la vérité et blâme ces procédés de polémique. « Les crieurs, dit-il, lancés sur les places et dans les rues par les ennemis du pouvoir ne furent souvent que des colporteurs de scandale, que les hérauts d’armes de l’émeute ; dans les libelles qu’ils distribuaient, la mauvaise foi des attaques le disputa plus d’une fois à la grossièreté du langage, et à je ne sais quelles flagorneries démagogiques. »

Mais c’était bien moins la forme dans laquelles elles étaient émises que les idées elles-mêmes qui préoccupaient le gouvernement et le poussaient à reprendre une à une les libertés conquises sur les barricades des trois journées. La Société des Amis du Peuple avait dû se dissoudre, mais à sa place celle des Droits de l’Homme avait surgi. Les brochures que publiait la nouvelle association posaient la question sociale en même temps que la question politique, et c’est à cette nouvelle propagande que le pouvoir essayait de mettre un terme.

« Sur trente-deux millions d’habitants, disait une de ces brochures, la France renferme cinq cent mille sybarites, un million d’esclaves heureux et trente millions d’ilotes, de parias… Dites-leur que la Monarchie n’est capable que de déplacer le bonheur et la souffrance, mais que la République seule peut tarir la source de celle-ci et rendre à chaque individu sa part de souffrances et de félicités… » « Nous avons bien moins en vue un changement politique qu’une refonte sociale, disait-on ailleurs. L’extension des droits politiques, le suffrage universel, peuvent être d’excellentes choses, mais comme moyens seulement, non comme but. Ce qui est notre but à nous, c’est la répartition égale des charges et des bénéfices de la société. »

« C’est le peuple qui garde et cultive le sol », écrivait Vignerte à Carrel, qui souffrait avec impatience cette floraison socialiste sur le terrain républicain ; « c’est lui qui féconde le commerce et l’industrie ; c’est lui qui crée toutes les richesses : à lui donc appartient le droit d’organiser la propriété, de faire l’égale répartition des