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qu’il donne à une certaine heure une leçon de morale, de religion ? Non. Il ouvre et ferme l’école sur la prière ; il fait dire la leçon dans le catéchisme ; il donne des leçons d’histoire par la lecture de l’Écriture sainte. L’instruction religieuse et morale s’associe à l’instruction tout entière, à tous les actes du maître d’école et des enfants. Et, par là seulement, vous atteignez le but que vous vous êtes proposé, qui est de donner à l’instruction un caractère moral et religieux. »

Il n’y manque que le calcul : Guizot n’a pas osé mettre le mystère de la Trinité et la multiplication des pains à la base de cet enseignement. Mais un calcul qui ne fait pas défaut, c’est celui-ci, hautement avoué, proclamé : Donner un enseignement qui trompât la faim de savoir et la soif de vérité, car de tels appétits contiennent « un principe d’orgueil, d’insubordination, d’égoïsme (ah ! l’égoïsme des pauvres qui veulent manger à leur faim !) et par conséquent de danger pour la société. »

Placer l’instituteur dans la dépendance du conseil municipal, c’était, dans trente mille communes au moins, l’asservir au curé. Fixer son traitement minimum à deux cents francs par an, c’était resserrer la chaîne plus étroitement encore, faire de lui un valet d’église, à la fois bedeau, sacristain, sonneur et fossoyeur. La plupart d’entre eux devaient mendier auprès des parents de leurs élèves les redevances fixées pour la scolarité.

Dans certains pays, disent les rapports officiels, « les instituteurs vivent de ce que les parents veulent bien leur donner lors de chaque récolte ». Aux portes de Paris, dans les environs d’Étampes, « les instituteurs se contentent d’une certaine quête qu’ils font chez l’un et chez l’autre. Supposez, dans la saison des vendanges, M. l’instituteur allant de porte en porte avec une brocotte, mendier quelques litres de vin, le plus souvent donnés de mauvaise grâce ». En Seine-et-Oise, également, « il y a dans plusieurs localités un mode de rétribution qui renferme quelque chose d’humiliant pour l’instituteur, en l’assimilant en quelque sorte à l’individu qui tend la main pour recevoir la récompense de ses peines… et quelle récompense !… des pois ! » On allait jusqu’à rabrouer l’instituteur réclamant dans un ménage quelques pommes de terre, « parce qu’il faisait tort aux pourceaux ». Quand les maires « voulaient donner à l’instituteur une marque d’amitié », dit un rapport d’inspecteur général, ils « le faisaient manger à la cuisine ».

Maîtres et élèves seront logés dans des taudis. L’école est fréquemment une grange abandonnée à regret. Des salles de douze pieds de côté entassent quatre-vingts enfants sur le sol humide, en terre battue. Les inspecteurs signalent dans « ces foyers d’infection la cause d’une foule de maladies graves, épidémiques et quelquefois annuelles, qui attaquent la jeunesse des écoles. Cette note est uniformément donnée pour la Meuse, pour la Haute-Marne, pour le Calvados, pour le Vaucluse, pour la Somme.

Comment ainsi ravalé, l’instituteur pouvait-il garder le sentiment de sa dignité ? Grâce à une constante révolte intérieure que, dans leur stupidité, ses maîtres ne pensaient pas allumer en lui par un tel traitement. Puissance du savoir, si mo-