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disent les propriétaires agricoles, « franchement dévoués au gouvernement », qui déclarent parler « au nom des intérêts de l’agriculture ».

« Nous avons besoin de vignerons et non pas de lecteurs », dit un vigneron du Médoc, auquel fait écho un bourgeois de Gers, qui s’écrie : « Au lieu d’aller perdre leur temps à l’école, qu’ils aillent curer un fossé ! » Dans les Ardennes, « certaines personnes distinguées par leur fortune… prétendent qu’il est inutile de montrer à lire à des paysans qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front. » Leur pain, et la brioche des enfants de ces « personnes distinguées », pour qui seuls sont faites les écoles. Dans la Dordogne, on est « persuadé que le paysan qui dépasse un certain degré de connaissances devient un personnage inutile ». Dans la Drôme, les familles riches « craignent de voir l’instruction se répandre dans les classes pauvres » ; et dans le Cher, les propriétaires, « avant tout amis de l’ordre et de la paix, ne voient pas sans inquiétude propager l’instruction élémentaire, surtout dans des temps où les journaux pullulent ».

Guizot, on le voit, avait affaire à forte partie. Contre l’égoïsme inintelligent des bourgeois qui formaient en somme sa majorité, il fit appel à la politique de l’Église. Il installa le prêtre dans l’école. Cette loi satisfaisait d’ailleurs si complètement le parti clérical que Montalembert la vota sans une critique. Eusèbe Salverte avait proposé un amendement portant que des notions des droits et devoirs politiques seraient données aux enfants. Cet amendement fut repoussé par Guizot, qui railla cette prétention de parler de devoirs et de droits civiques à des bambins de six à dix ans. À ceux qui lui reprochaient d’avoir introduit dans l’école le prêtre, c’est-à-dire l’ennemi de l’enseignement, il répondait : Il vaut mieux avoir la lutte en dedans qu’en dehors.

Pour compléter les assurances données au clergé, le rapporteur de la loi, Renouard, indiquait que la place des curés était tout indiquée parmi les délégués inspecteurs des écoles. « Fréquemment, disait-il, les conseils municipaux auront le bonheur de pouvoir confier cette délégation à une classe d’hommes qui ont pour mission spéciale de consacrer leur vie à améliorer par la morale et les lumières le sort de l’humanité. Vous avez tous compris, messieurs, que je signale ici les curés et autres ministres des différents cultes. »

De son côté, Guizot donnait au clergé tous les gages possibles. Il plaçait, dans l’école, l’instituteur sous l’autorité du prêtre. Et ces instituteurs, qu’on redoute comme des « anticurés », l’expression est de Thiers, soyez tranquille ; le curé saura les tenir. Cependant M. Thureau-Dangin estime que « la loi de 1833 leur avait donné trop d’indépendance » et qu’elle « avait aussi trop étroitement limité l’influence du clergé. » C’est la bonne doctrine de l’Église, qui ne tient rien tant qu’elle ne tient pas tout. Les récriminations de M. Thureau-Dangin, plus exigeant que Montalembert lui-même, sont tout de même excessives et témoignent envers Guizot d’une injustice profonde, car le ministre fit tout ce qu’il put pour ligoter l’instituteur, dont il traçait en ces termes les occupations :

« Que fait, que doit faire le maître d’école ? disait-il à la Chambre le 2 mai. Est-ce