Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vriers pour leur répartir les bénéfices de son entreprise. Selon cette doctrine, l’État est réduit à la fonction de gendarme chargé de faire observer les lois faites par les riches contre les pauvres. Il est bien ainsi la chose d’une classe.

Ce fut enfin Odilon Barrot, qui, en qualité de préfet de la Seine, adressa dans les premiers jours de septembre une proclamation à ses concitoyens. Dans cette proclamation nous trouvons les affirmations suivantes : « Une commission a été créée pour rendre aux travaux publics et privés la plus grande activité. Des ateliers sont établis sur tous les points de la capitale. Nul ne peut se plaindre de manquer de travail. Des secours ont été et sont journellement distribués aux indigents infirmes ».

En bon représentant de l’autorité, et quoique tout neuf dans ce rôle, Odilon Barrot terminait sa proclamation par les menaces usuelles, rappelant que « la loi punit » les « démonstrations turbulentes » et les « coalitions », et, proclamant sa confiance dans la population parisienne, il déclarait compter sur « notre brave garde citoyenne. »

Négligeons ces menaces, qui sont de style officiel, et retenons les affirmations formelles du préfet de la Seine. « Nul, disait-il, ne peut se plaindre de manquer de travail ». Or, les journaux du temps, soigneusement compulsés par M. Thureau-Dangin, qui, je le répète, est un écrivain favorable au régime de juillet, les journaux du temps affirment tous la crise commerciale et la détresse des ouvriers. Une semaine à peine après la proclamation d’Odilon Barrot, les Débats déclaraient « affreux » l’état du commerce. Citant Louis Blanc, qui raconte qu’une imprimerie avait vu tomber son personnel de deux cents ouvriers à vingt-cinq et le salaire de cinq et six francs à vingt-cinq ou trente sous, M. Thureau-Dangin dit en termes précis : « Les ouvriers n’avaient pas d’ouvrage. »

Pour Odilon Barrot, les secours aux indigents, secours insuffisants et dont encore aujourd’hui nous connaissons la modicité (trois francs par mois l’été et cinq francs l’hiver) et les chantiers où la rétribution se rapprochait plus de l’aumône que du salaire normal, voilà qui avait suffi à donner satisfaction aux travailleurs. Et, dès lors, ceux qui réclamaient étaient des « turbulents » qui méritaient d’être punis par la loi.

Ch. Dupin, économiste, professeur au Conservatoire des Arts-et-Métiers, frère cadet du ministre, du factotum de Louis-Philippe, prêcha de son côté fort éloquemment les ouvriers.

« Mes anciens et bons amis, leur dit-il en substance, méfiez-vous de ceux que vous avez vaincus hier ; ce sont leurs perfides conseils qui vous poussent aujourd’hui à détruire à la fois la révolution que vous avez faite et les machines qui sont les moyens les plus sûrs d’améliorer votre sort.

« Il y a quarante ans, ajoutait-il, quand la Révolution a commencé, quand nos pères ont pris la Bastille, que défendaient non pas des régiments de garde royale, mais une poignée d’invalides, demandez à nos vieillards si l’ouvrier était aussi bien nourri, aussi bien meublé qu’aujourd’hui ; il vous diront tous que non.