Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour les autres de mourir de faim en s’épuisant à se faire concurrence. Les membres du bureau de la réunion où le tarif avait été arrêté furent emprisonnés ; on ne les relâcha que lorsqu’ils eurent promis de dissoudre l’association formée et de rembourser les cotisations déjà versées par les adhérents.

Les tailleurs de Paris, eux aussi, avaient organisé des sociétés de secours mutuels qui étaient de véritables syndicats, ce qui leur avait permis en 1832, après une grève générale de quinze jours, d’obtenir une augmentation sur les prix de façon, qui n’avaient pas varié depuis 1825. Ils avaient déclaré leur grève en novembre, dans un moment de presse. Les patrons, surpris par la soudaineté du mouvement, manquant de temps pour se concerter, avaient dû céder.

Ayant éprouvé ainsi leur force, les ouvriers entreprirent de la consolider, tant pour assurer les résultats obtenus que pour en conquérir d’autres. Trois sociétés de secours mutuels qu’ils venaient de fonder, la Société philanthropique des ouvriers tailleurs, la Société de l’Aigle et la Société du Progrès formèrent une commission centrale. Quand ils se crurent suffisamment en force, ils se mirent en grève dans tous les ateliers à la fois dans les premiers jours d’octobre en demandant 2 francs de plus par pièce et une augmentation de 50 centimes pour les ouvriers à la journée.

Mais les patrons, cette fois, ne furent pas pris au dépourvu. Au lendemain de la grève de l’année précédente, ils s’étaient réunis et avaient conclu un accord stipulant une amende de 1 000 francs pour celui d’entre eux qui accorderait une augmentation à ses ouvriers. Leur moyen de résistance fut d’ailleurs aussi simple que cynique. Ils déposèrent une plainte contre la commission ouvrière, coupable du délit de coalition, et six d’entre les coalisés bourgeois se portèrent partie civile contre les coalisés ouvriers.

Louis Blanc, qui mentionne cette grève, donne le texte de la décision adoptée dans une réunion de la Rotonde, à la barrière du Maine, par plus de trois mille grévistes :

« Considérant, dit cet ordre du jour, que, par une circulaire du 28 octobre courant, les maîtres tailleurs ont été invités à se réunir entre eux pour s’entendre contre les ouvriers ; que, par suite de cette coalition autorisée par la police, plusieurs ateliers de maîtres tailleurs ont été fermés, l’assemblée arrête les mesures ci-après : 1o La Société philanthropique des ouvriers tailleurs vote à l’unanimité qu’elle met à la disposition de son conseil les fonds de la société, pour créer un établissement de travail ; 2o l’établissement ne vendra, strictement, que le prix courant de la marchandise, prise de première main ; 3o le conseil de la Société philanthropique réglera les intérêts de l’établissement, et des mesures seront prises pour en faire l’ouverture avant la fin de la semaine ; 4o les ouvriers sont organisés par compagnie de vingt pour la distribution des secours qui leur sont nécessaires : dans chaque compagnie, les ouvriers de cette corporation provisoire se nourriront à l’instar des militaires. Les ouvriers travaillant chez les maîtres dont l’ouvrage ne peut éprouver aucune augmentation s’engagent volontairement à apporter leurs dons, par versement fixe, pour les ouvriers sans travail. »