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ils ne laisseront pas à d’autres le mérite de devenir vos bienfaiteurs. Les « riches propriétaires » laissèrent bel et bien à d’autres, aux ouvriers eux-mêmes, ce mérite, et l’augmentation des salaires accordée par la suite fut compensée par une augmentation de la tâche.

Les charpentiers de Paris s’étaient déjà mis en grève en 1831 pour obtenir 35 centimes de l’heure. En 1832, ceux du Pecq demandent la journée de dix heures et obtiennent 40 centimes. Cet avantage, consigné et enregistré dans le tarif, « ne faisait loi qu’en l’absence de conventions particulières ». Il fut facile aux employeurs d’exploiter l’insolidarité des ouvriers et de recourir au marchandage pour leur enlever ce qu’ils avaient dû céder.

Au procès des grévistes du Pecq, le président du tribunal disait aux inculpés, afin d’établir la matérialité du délit de grève :

— Ainsi, vous étiez tous d’accord ?

— Oui, pour raisonner notre intérêt, les ouvriers et tous les philanthropes.

— Eh bien, c’est là une coalition, c’est un concours qui à lui seul constituerait le délit.

Et il condamna. Treize d’entre eux, malgré tout le talent que mit Berryer dans sa plaidoirie, virent leur condamnation confirmée en appel.

Les sociétés de secours mutuels avaient presque toutes une caisse de chômage, organisée sur le type de celle des chapeliers fouleurs fondée en 1817 sous le nom de bourse auxiliaire. La grève de 1833 démontra aux ouvriers fondeurs en cuivre de Paris l’utilité de cette réserve de guerre. Mais ils ne firent pas de la caisse de chômage une annexe de leur société de secours mutuels ; ils voulurent avoir une véritable caisse de résistance. L’autorité les contraignit vite à modifier leurs statuts et la bourse auxiliaire des fondeurs ne fut pas l’instrument de défense professionnelle qu’ils avaient rêvé.

À ce trait, on voit que les sociétés ouvrières pouvaient vivre, mais à la condition de se renfermer exclusivement dans la fonction du secours mutuel en cas de maladie ou de chômage. Encore l’autorisation n’était-elle accordée qu’après les plus minutieuses précautions.

Avant de constituer le puissant syndicat qui groupe aujourd’hui les trois quarts des membres de leur corporation, les typographes ont été, eux aussi, disséminés en une quantité de minuscules sociétés de secours mutuels. À l’époque où se passent les événements que nous relatons, la moitié des typographes parisiens, soit près de trois mille ouvriers, étaient groupés avec les autres ouvriers de l’imprimerie dans une trentaine de sociétés de secours mutuels.

L’Imprimerie Nationale ayant établi dès 1818 un tarif uniforme pour son personnel, les typographes tentèrent en 1833 de le faire appliquer dans toutes les maisons. Ils se réunirent et adoptèrent un projet de tarif corporatif qui fut envoyé le 3 décembre aux quatre-vingts maîtres imprimeurs de Paris. Il n’en fallut pas davantage pour mettre en action la puissance publique, prompte à réprimer toute atteinte à la liberté du travail, c’est-à-dire pour les uns d’exploiter sans merci et