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avait préparé une faillite ». On sait que les ordonnances, en supprimant le peu de liberté qui restait à la presse, avaient permis à la bourgeoisie libérale de jeter à l’insurrection les nombreux ouvriers parisiens occupés aux travaux de l’imprimerie. Au grief politique qu’ils avaient contre la Restauration, les libéraux avaient ajouté le grief économique qui mettait les ouvriers de leur côté. D’ailleurs, les propriétaires d’imprimeries et quantités de patrons libéraux s’étaient donné le mot pour fermer leurs ateliers.

La révolution faite, les ouvriers n’eussent pas demandé mieux que de reprendre le travail. Mais la révolution avait aggravé la crise. Paris, ville de luxe, patrie des métiers d’art, vit émigrer pour un temps les gens de luxe ; ceux qui restaient limitaient leurs dépenses, par crainte du lendemain plus encore que par bouderie. Le malaise économique, encore une fois, n’était pas né de la révolution. Nous allons examiner tout à l’heure quelles conditions générales l’avaient amené. Pour l’instant, constatons que les journées de juillet l’ont porté au comble. Dès lors se comprend « l’étonnement irrité de ce peuple qui, nous dit M. Thureau-Dangin, se sent mourir de faim au moment où l’on proclame le plus bruyamment sa souveraineté ».

L’agitation ouvrière, qui se prolonge pendant les mois d’août et de septembre, est naturellement fort confuse. Les uns demandent du travail et les autres protestent contre le salaire de famine que leur donnent leurs patrons. Ils défilent par corporations dans les rues de Paris, clamant leur détresse et demandant du travail ou du pain. Au moment même où les parasites de la monarchie se retournent vers le nouveau gouvernement et grossissent l’affluence qui se rue à l’assaut des places, les ouvriers, qui sont les artisans de cette révolution, errent affamés devant les palais où la bourgeoisie organise sa victoire.

Tout naturellement, les ouvriers firent appel au pouvoir que leurs fusils encore chauds du combat venaient d’installer. Diverses réponses leur furent faites. D’abord par Guizot. En sa qualité de ministre de l’intérieur, il demanda à la Chambre, qui le lui accorda, un crédit de cinq millions applicables à des travaux publics.

Ce fut ensuite le préfet de police, Girod (de l’Ain), qui répondit en préfet de police, c’est-à-dire en prenant un arrêté contre les attroupements. Dans l’article 3 de cet arrêté il disait : « Aucune demande à nous adressée pour que nous intervenions entre le maître et l’ouvrier au sujet de la fixation du salaire, ou de la durée du travail journalier ou du choix des ouvriers, ne sera admise, comme étant formée en opposition aux lois qui ont consacré le principe de la liberté de l’industrie. »

Tant que la bourgeoisie régnera seule et sans partage, tant que par la démocratie le peuple n’aura pas été appelé à peser sur la direction des affaires publiques, la doctrine de l’État sera fixée dans ces dures paroles de Girod (de l’Ain). C’est de cette doctrine que s’inspirera en 1843 un de ses successeurs à la préfecture de police, Delessert, lorsqu’il refusera à Jean Leclaire l’autorisation de réunir ses ou-