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ricades de juillet et les ont défendues, que les plus avancés des prolétaires lient leur sort à celui de la démocratie : ce n’est encore que là, pour l’instant où nous sommes, où l’espoir d’émancipation sociale par la République groupe les travailleurs.

Martin Nadaud, dans ses Mémoires de Léonard, note que les ouvriers étaient assez nombreux dans les sociétés républicaines. « Nous étions quatre Creusois, dit-il, dans notre section de la rue des Boucheries-Saint-Germain, et lorsque nous dîmes, un soir, que nous savions où prendre pinces, marteaux et planches pour aider à la construction des barricades, nous fûmes chaleureusement applaudis. » Ceci se passait « après la défaite du parti dans ces glorieuses journées des 5 et 6 juin ».

En somme, sauf à Paris, la révolution de juillet n’a pas retenti directement sur la classe ouvrière. Est-ce à dire qu’indifférente dans sa masse à la poussée en avant qui venait de se produire sur le terrain politique, elle n’en avait point reçu le choc ? Comment expliquerait-on alors le mouvement de grèves qui a son point de départ dans l’année 1830 et atteint en 1833 un maximum qui ne sera dépassé que dix ans plus tard, en 1840 ?

En 1831 et 1832, les poursuites pour délit de coalition montent de 49 à 51, ce qui est insignifiant, et s’élèvent en 1833 à 90. Dans ces quatre-vingt-dix poursuites, 270 ouvriers sont condamnés à la prison, et sept d’entre eux pour un an et plus. En 1831, ce sont les canuts de Lyon, les tailleurs de pierre de Bordeaux qui se mettent en grève ; en 1832, les boulangers, les tailleurs et les charpentiers de Paris ; en 1833, de nouveau les charpentiers et les tailleurs, les mineurs d’Anzin, les tisseurs de Sainte-Marie-aux-Mines, les porcelainiers de Limoges. Dans cette même année 1833, il y a un essai de grève des typographes parisiens ; les tisseurs de Saint-Étienne s’agitent pour l’établissement d’un tarif.

Le lecteur sait qu’à cette époque l’ouvrier n’était pas seulement infériorisé politiquement, mais encore juridiquement. En cas de contestation avec le maître, celui-ci, devant les juges, était cru sur sa parole. Les tribunaux de prud’hommes aujourd’hui composés d’ouvriers et de patrons, étaient encore régis par la loi de 1806 et le décret de 1809 : en faisaient partie, d’un côté les patrons, de l’autre les chefs d’ateliers, les contremaîtres et les ouvriers patentés, ce qui excluait le prolétaire proprement dit, et les patrons fournissaient la moitié plus un des membres du conseil des prud’hommes. L’institution du livret avait été renforcée par un décret du 1er avril 1831. Le texte de la loi sur les coalitions frappait toujours les ouvriers et dans tous les cas, et les patrons seulement lorsque la coalition avait tendu « injustement » et « abusivement » à modifier le taux des salaires. La classe ouvrière avait là un bon billet.

Plus que jamais les associations d’ouvriers étaient proscrites par la loi : et les bureaux de placement, restaurés par Napoléon Ier, avaient monopole pour tous les métiers exercés dans les grandes villes. C’est le beau temps où l’on interdit aux domestiques sans place de séjourner plus d’un mois à Paris et dans les grandes villes ; où les maîtres charpentiers étaient obligés de déclarer dans les deux jours les compagnons qu’ils embauchaient ; où le livret des garçons boulangers et bou-