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mais qui croîtrait en force et en importance pour s’annexer finalement le premier, l’inspirer et le diriger.

Ce mouvement, qui se manifeste le lendemain même de la bataille, le 30 juillet, les communistes révolutionnaires eux-mêmes, les Buonarotti, les Voyer d’Argenson, les Teste, ne semblent pas le voir. Et s’ils le voyaient, ce serait pour le réprouver comme une diversion dangereuse, une déviation des efforts tentés pour orienter vers la République la révolution qui se fait. Comment d’ailleurs des socialistes pourraient-ils s’associer à l’aveugle fureur d’ouvriers brisant les machines qui leur coupent les bras ?

Blanqui lui-même, qui toute sa vie tentera d’utiliser les courants populaires les plus indifférents même au but que poursuit la démocratie sociale, Blanqui n’aurait pu que réprouver le geste de ces malheureux. Il eût pu, il est vrai, leur en indiquer un qui fût dans la direction de leurs destins. Mais à ce moment il n’a que vingt-cinq ans et il est encore perdu dans la masse des combattants. La veille même du jour où les ouvriers imprimeurs vont se ruer sur les presses mécaniques, Blanqui, noir de poudre, entre dans le salon de Mlle de Montgolfier. Il apparaît, nous dit Gustave Geffroy dans l’Enfermé, « avec la décision du triomphe, la bouche et les mains noires des cartouches déchirées et des balles parties, odorant de poudre et aspirant l’âcre parfum de la bataille gagnée, aussi doux qu’un bouquet de printemps et qu’une chevelure de femme. Il s’arrête sur le seuil et laisse tomber son fusil dont la crosse heurte lourdement le parquet, dont la crosse et la baguette sonnent avec un bruit de cristal et de chanson. Et le bruit, et la pensée, et le geste sont en rapport avec les paroles brutales et ironiques qui sont prononcées les premières : « Enfoncés, les romantiques ! » s’écrie l’étudiant qui rassemble en un cri ses haines politiques et ses colères littéraires, son goût de la mesure et des règles, son aversion du lyrisme, de la phrase et de la cathédrale ».

Ce que Blanqui n’a pas vu, ses aînés, les héritiers directs de la pensée de Babeuf, ne l’ont pas vu davantage. Ils sont tout à leur rêve d’une communauté agraire, que pouvait réaliser le seul triomphe préalable de la République, et cette explosion de fureurs ouvrières contre les machines, cette contagion du luddisme Anglais ne leur dit rien. Remarquons d’ailleurs que le mouvement qui se produisit dans la matinée du 30 juillet fut relativement insignifiant. « Quelques ateliers d’imprimerie furent envahis et quelques presses mécaniques brisées », dirent les journaux quinze jours après cet incident.

Ils n’en parlent même que parce que l’agitation ouvrière contre les machines a repris le 12 ou le 13 août. De son côté, Louis Blanc ne dit pas que les ouvriers ont brisé les machines, mais qu’ils ont voulu en briser. Cependant, le 3 septembre, les Débats ne parurent pas, leurs presses mécaniques ayant été détruites.

D’ailleurs, le bris des machines n’était qu’une des moindres manifestations du malaise qui mettait la classe ouvrière en mouvement. La révolution de juillet s’était produite au moment d’une crise économique et l’avait aggravée. Selon l’expression de Louis Blanc, « chaque coup de fusil tiré pendant les trois jours