Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à son premier contact avec la Chambre. Il répondit donc qu’il ne s’agissait pas de lui, mais du principe.

« Le roi, dit-il dans ses Mémoires, répliqua vivement qu’il n’entendait pas se mettre de nouveau en tutelle en nommant un vice-roi ; et il continua avec tant de volubilité qu’il n’y eut plus moyen de rien objecter, en telle sorte que, ne me trouvant plus en liberté pour répondre, et craignant d’ailleurs de l’exciter davantage par mon insistance, je le priai de bien vouloir en référer à son conseil ; et profitant du moment où il rentrait dans le salon, je ne crus pouvoir mieux lui marquer mon respect que par ma retraite, dans la crainte de voir la discussion se rallumer. Au lieu, donc, de suivre Sa Majesté, je sortis par une autre issue, et regagnai ma voiture. »

Après avoir hésité entre Thiers, Guizot et Dupin, Louis-Philippe se décida pour le duc de Broglie. Mais celui-ci posa ses conditions. Il acceptait la présidence du conseil avec le portefeuille des affaires étrangères, mais il lui fallait Thiers à l’intérieur et Guizot à l’instruction publique, Barthe eut les sceaux et Human les finances, Soult garda son poste à la guerre, et, le 11 octobre, le ministère était constitué.

Le jour de l’ouverture de la session, un coup de pistolet fut tiré sur le roi, au moment où, à cheval selon le cérémonial d’alors, il traversait le pont Royal pour aller lire à la Chambre le discours de la couronne. Il n’avait pas été atteint. On trouva l’arme à terre et, un peu plus loin, un autre pistolet chargé.

La presse ministérielle poussa les hauts cris. Le parti républicain fut accusé d’armer le bras des assassins par ses doctrines. Tout attentat politique soulève les mêmes polémiques. Elles durent encore aujourd’hui. Autant que les attentats eux-mêmes, les accusations venimeuses où les idées sont incriminées prouvent la lenteur du progrès des mœurs publiques. Louis Blanc, recherchant les causes de l’assassinat politique, accuse la doctrine de l’individualisme politique, économique et moral.

« Le libéralisme, dit-il, avait produit pendant quinze ans cette fausse et pernicieuse théorie que les gouvernements ne doivent pas être chargés de la direction morale des esprits : les conséquences ne s’étaient pas fait attendre. Sous l’empire d’une loi athée et d’une morale abandonnée à tous les caprices de la controverse, chacun en était venu à n’accepter, de la légitimité de ses actes, d’autre juge que lui-même. »

Cette thèse ne tend rien moins qu’à condamner toute indépendance de pensée, toute audace de conception, toute novation et toute découverte. Elle justifiait Guizot et les doctrinaires qui devaient, au moment même où l’auteur de l’Histoire de Dix ans traçait ces lignes, tenter de constituer « l’unité morale » en se fondant sur l’enseignement religieux qui donnerait aux riches la mansuétude et aux pauvres la résignation.

Louis Blanc voulait l’unité morale dans l’égalité sociale, dans une communauté fondée sur le travail, soit. Mais il commençait par un impératif auquel l’es-