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autour d’elle et sur les points où elle devait agir, elle s’enfuit sur le continent et tenta d’intéresser les cours à la cause de son fils. Le tzar lui fut immédiatement acquis. Mais il ne pouvait rien à lui seul. Une tentative qu’elle fit à Vienne fut immédiatement découragée par Metternich, qui avait lié partie avec Louis-Philippe, et d’autre part connaissait assez la France pour ne se faire aucune illusion sur les chances d’une restauration.

Mis au courant de ses menées, Louis-Philippe la fait expulser du Piémont. Elle va de Modène à Naples, revient à Rome, dépiste les recherches et soudain débarque, le 29 avril, près de Marseille, avec le maréchal de Bourmont, Kergorlay, Saint-Priest et quelques autres. Le bruit de son arrivée se répand dans la ville, quelques pêcheurs des vieux quartiers l’acclament, sonnent le tocsin, essaient de proclamer le jeune roi. Mais quelques soldats dispersent l’attroupement, dans l’indifférence de la population. Les conjurés se dispersent.

La princesse parcourt le Midi sous un déguisement : on ne pourrait dire si elle fuit ou si elle prépare un soulèvement. Mais non, c’est une fuite qui la jette de Montpellier à Toulouse, de là à Bordeaux, puis en Vendée, où le 15 mai elle lance une proclamation. Ce que le comte d’Artois n’a pas osé il y a quarante ans, appuyé sur la flotte anglaise et appelé par une formidable insurrection, elle le tente sous le vêtement pittoresque de Petit Pierre, en héroïne de Walter Scott qu’elle est, avec toute la fougue baroque de son caractère de princesse et d’Italienne amoureuse.

Elle organise un gouvernement, dont feront partie ceux-là mêmes qui jugent sévèrement son équipée : Chateaubriand et Berryer. Celui-ci va la trouver au milieu de ses maigres troupes et la supplie de cesser une guerre inutile. Il lui porte une note de Chateaubriand l’adjurant de quitter la France au plus tôt.

« Les fidèles amis de la duchesse de Berri, disait cette note, non seulement pensent que la guerre civile est toujours une chose funeste et déplorable, mais que, de plus, elle est en ce moment impossible… Ils pensent que les personnes qui ont été conduites à conseiller des mouvements de cette nature ont été grossièrement trompées, ou par des traîtres, ou par des intrigants, ou par des gentilshommes de courage qui se sont plus abandonnés à la chaleur de leurs sentiments qu’ils n’ont consulté la réalité des faits. »

L’orateur qui remuait des assemblées et qui, selon le mot de Cormenin, « était éloquent de toute sa personne », devait facilement avoir raison des arguments que lui opposait l’enthousiaste guerrière. Car lui aussi savait employer les moyens du sentiment ; c’était même sa force principale, et son arme la plus puissante à la tribune, où il emportait les cœurs plus qu’il n’édifiait les convictions.

De plus, les raisons de fait étaient là. Les chefs du parti légitimiste, les comités de Paris, avaient posé trois conditions à la guerre de Vendée. Elle ne devait éclater que dans le cas où la république serait proclamée à Paris, ou dans celui d’une invasion étrangère, ou encore si le Midi entrait, lui aussi, en insurrection. Or, l’enterrement du général Lamarque, où les royalistes avaient vu l’occasion de jeter les républicains sur le gouvernement, avait abouti à la défaite de Saint-Merri. En fait d’in-