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qu’étaient les révolutions et les restaurations ? Des entreprises de Satan et des revanches du ciel. Dieu accordait aux méchants des victoires d’un moment, pour éprouver les bons. Mais ceux-ci pouvaient, devaient toujours espérer un miracle de son arbitraire souverain.

Les sentiments fondamentaux du peuple ne leur apparaissaient pas changés. Il était toujours pour eux la grande masse simple, ignorante et passive que de mauvais esprits avaient détournée de ses devoirs. Dieu avait accordé le succès à leurs entreprises, mais pour faire à ses fidèles l’obligation d’agir par les mêmes moyens qui avaient donné à ceux-là un triomphe passager. Ils partageaient tous l’illusion du vieux roi, en qui Victor Hugo résumait ainsi la leur propre : « Charles X croit que la révolution qui l’a renversé est une conspiration creusée, minée, chauffée de longue main. Erreur ! c’est tout simplement une ruade du peuple. » Le poète, qui venait d’entrer en communication avec son temps, voyait avec la lucidité du génie le mouvement que, murés dans le culte d’un passé mort, les royalistes étaient incapables de soupçonner : « Il y a de grandes choses qui ne sont pas l’œuvre d’un homme, disait-il, mais d’un peuple. Les pyramides d’Égypte sont anonymes ; les journées de juillet aussi. »

Persuadés qu’une conspiration les avait renversés du pouvoir, les légitimistes conspirèrent pour y remonter. Et puisqu’il fallait flatter la bête pour la dompter, eux aussi la flatteraient. Les barricades avaient élevé le trône de l’usurpateur, d’autres barricades faites par le même peuple serviraient de piédestal au vrai trône, au trône fleurdelysé. Ils allèrent donc au peuple, comme y étaient allés les émissaires de Philippe-Égalité, comme venaient d’y aller ceux de Philippe-roi. Et, comme ceux-ci, ils iraient à lui, poches garnies et mains libérales, la bouche pleine des paroles qu’aiment les foules, ces paroles qui sonnent la liberté et l’égalité, comme les pièces fausses sonnent l’or et l’argent. Nous avons revu cela il y a peu.

« C’est chose très plaisante, dit Henri Heine, de voir ces cafards déguisés faire maintenant les matamores en langage de sans-culotte, coqueter d’un air farouche sous le bonnet sanglant d’un jacobin, puis se laisser prendre parfois d’inquiétude à la pensée qu’ils auront pu mettre par distraction à sa place la rouge calotte du prélat : ils ôtent alors un instant de leur tête leur coiffure empruntée et laissent voir à tout venant leur tonsure. »

Plus clairvoyants et plus probes, les publicistes et les orateurs de la légitimité s’opposaient de toutes leurs forces à cette démagogie, à ces complots, à ces essais de soulèvement populaire, où s’acharnaient les hommes de main du parti. Chateaubriand et Berryer avaient d’autres armes à leur disposition que la carabine du braconnier et les outils du chauffeur. Ce Don Quichotte champion de la royauté, comme Heine appelait l’auteur du Génie du Christianisme, « ne tirait qu’avec des perles précieuses au lieu de bonnes balles de plomb bien vulgaires et bien incisives ».

Il combattait avec plus de conviction que d’espérance, et par point d’honneur plus que par conviction. Tout d’abord, il s’était flatté de jeter bas avec sa plume la monarchie nouvelle, selon l’expression de M. Thureau-Dangin. Et puis, la puérilité