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non plus pour fuir le fusil de munition, mais pour décrocher de la cheminée la canardière familiale pour une autre chasse que celle des oiseaux de marais, et chantaient à tue-tête à travers les villages frémissants :


Prends ton fusil, Grégoire,
Et ta gourde pour boire.


Pour leur donner du cœur, on leur disait que le Midi, le Midi de Trestaillons et de Quatretaillons, allait bouger, de Bordeaux à Nîmes. Ils le croyaient, le désirant de toutes leurs forces, et se faisaient la main par des attaques contre des gendarmes isolés, et un peu aussi contre des diligences. Ils faisaient leur coup, par bandes minuscules, puis disparaissaient derrière la complicité muette et narquoise des villageois. Des exécutions de « bleus » avaient lieu, de-ci, de-là, pour la sécurité, pour la vengeance, pour le plaisir de ceux qui les assassinaient à l’improviste. Les villes s’irritaient contre les « brigands », faisaient faire des battues par leurs gardes nationaux, qui bientôt se trouvèrent en face de véritables forces et ne purent tenir.

Ceux qui avaient tenté de rallumer l’incendie s’étaient montrés plus zélés propagandistes qu’habiles organisateurs. Nous les avons vus s’essayer dans un de ces coups où ils excellèrent, toujours avec un égal insuccès, vers la fin du Directoire et sous le Consulat, et nous avons constaté l’échec de leur complot de la rue des Prouvaires, où tout avait été prévu par eux, sauf deux choses : la division des chefs et la trahison de quelques affidés. Ils n’avaient cependant rien omis pour préparer l’opinion publique, et ils avaient fait appel aux forces de sentiment, si puissantes chez ceux où le cœur l’emporte sur la raison. Il y avait toute une imagerie du petit comte de Chambord, le représentant dans les attitudes les plus propres à émouvoir les âmes sensibles. On le montrait agenouillé et priant pour la France, cette France qui avait eu la cruauté de jeter à l’exil un pauvre enfant de dix ans. Dans une autre gravure, car les revenants de Coblence avaient toutes les audaces, le jeune Henri V tentait de toucher le cœur des patriotes en pleurant avec sa jeune sœur. Au-dessus on lisait cette légende, qui l’appariait avec Marie Stuart, autre héroïne de légende :


Oh ! que j’ai douce souvenance
Du beau pays de mon enfance…


N’était-il pas, lui aussi, relégué dans la rude et poétique Écosse, mise à la mode par Walter Scott et ses imitateurs français ! Jusqu’à quel point cette imagerie, ces placards en vers et en prose, agissaient-ils sur le public ? Fort peu, nous dit Henri Heine, qui nous montre un ouvrier regardant une estampe où le petit roi « gravit les montagnes de l’Écosse, vêtu en montagnard et sans haut-de-chausses ».

— Mâtin ! fait l’ouvrier. On le représente sans culottes, mais nous savons bien qu’il est jésuite.

Oui, voilà ce qu’on savait, parce-qu’on le voyait. Et là était l’obstacle invincible, dont les partisans du drapeau blanc ne tenaient pas compte. Pour eux,