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nette de la transformation de la propriété terrienne et de la rente oisive en propriété capitaliste et en profit reproducteur de force et de richesse ; une vue non moins nette de la nécessité de fonder l’ordre social sur un système d’institutions économiques. Tout le socialisme organique sortira de là. Que nous reste-t-il encore ? La négation fondamentale du privilège héréditaire de la propriété, l’émancipation sociale de la femme reconnue l’égale de l’homme.

En présence de ces apports, et de ceux que nous réserve une étude de la hiérarchie industrielle substituée aux fonctions politiques et transformée en division du travail, on ne peut pas dire que les saint-simoniens aient inutilement retenu pendant trois ans une part de l’attention publique. Vivants et agissants, ils n’eurent qu’un succès de curiosité. Leur pensée, qui est le fond même de la pensée socialiste, transformée par des acquisitions incessantes, vit et agit chaque jour, et s’impose, à mesure que nous nous connaissons mieux, à toute notre reconnaissance.



CHAPITRE VI


LA PETITE VENDÉE


Divisions du parti légitimiste. — Châteaubriand et Berryer. — L’équipée de la duchesse de Berri. — Propagande légitimiste par l’imagerie. — Défaite de l’insurrection vendéenne. — Fausses espérances : la mort du duc de Reichstadt et les impérialistes.


Le parti légitimiste était divisé en deux fractions. C’est la loi de tout parti, si homogène soit-il, et les plus rétrogrades sont les plus homogènes, le sens de la liberté y étant moins éveillé. Il y avait d’un côté les politiques, les parlementaires, les gens informés, d’ailleurs désireux de tranquillité pour eux-mêmes plus que pour le pays ; de l’autre les ardents ne rêvant que la revanche des trois journées et toujours prêts à se heurter au nouveau gouvernement pour tenter de le renverser par les moyens qui l’avaient édifié. Tout à coup, on apprit à Paris que la chouannerie venait d’éclater et que la Vendée renaissait. Le bruit courut et se confirma, que la duchesse de Berri, mère du comte de Chambord (alors nommé duc de Bordeaux), était à la tête des insurgés de l’Ouest.

Mais ce n’était pas le grand incendie qui avait dévoré trois provinces quarante ans auparavant. C’étaient des tisons mal éteints, qui avaient couvé sous la cendre, jetant des étincelles sous le Consulat et sous l’Empire et qui n’avaient rien du soulèvement d’un peuple attaché à sa foi, à ses coutumes, à ses maîtres, c’était la fuite dans les landes et dans les marais de jeunes gens qui se dérobaient à la conscription.

Cependant, cette fois, les étincelles avaient jailli sur des foyers, d’ailleurs épars, mais où tout semblait préparé pour une nouvelle flambée. Des gars se levaient