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impression sur l’assistance, très nombreuse. Lamé, Clapeyron, anciens amis d’Enfantin. Stéphane et Eugène Flachat, Émile Pereire enfin, préparaient le projet de chemin de fer de Paris à Saint-Germain. « Ce fut là, dit Laurent, devant le cercueil d’un rêveur qui s’appelait Talabot, qu’eut lieu la première rencontre des ingénieurs et des financiers destinés à tenter le premier essai de voies ferrées dont le Globe avait donné le plan général. » Les affaires sont les affaires. À quelques jours de là, Bazard mourait, et Cécile Bazard écartait la « famille » de ses obsèques.

Le procès fut une déception. Les saint-simoniens ayant déclaré vouloir présenter eux-mêmes leur défense, le public attendait de ces hommes éloquents les discours qui rendaient si passionnants les procès de républicains. Simon, Lambert, Holstein, Hoart, Bruneau, d’Eichthal et Rigaud, assis au banc des avocats, leur servaient de conseils. Les prévenus étaient Enfantin, Olinde Rodrigues, Michel Chevalier, Barrault, Duveyrier.

Bien que la captation d’héritage eût été écartée, l’acte d’accusation la mentionnait, manœuvre scélérate destinée à impressionner le jury. L’avocat général Delapalme, interpellé par Enfantin, répondit qu’il n’y avait là qu’une « erreur de copiste ». Étrange erreur qui se reproduisait dans toutes les pièces de l’instruction !

On lançait donc l’imputation et on leur refusait de s’en laver par la production de leurs témoins. Ils n’étaient plus accusés que d’avoir outragé la morale publique dans leurs prédications et formé une association s’occupant « d’objets religieux, politiques et autres ». « Et autres », c’étaient les théories d’association, la suppression de l’héritage, le programme social. Le président n’avait pas trouvé de mots pour qualifier ces « objets », qui demeurent la gloire du saint-simonisme et sont inscrits aujourd’hui dans la conscience de tous les socialistes de l’univers. « Et autres », ce n’était que cela. Rien, en somme, pour un magistrat de Louis-Philippe et de la bourgeoisie régnante. Rien ? Non, mais bien plutôt tout : la cause même, innommée et redoutable, des poursuites entreprises contre ces novateurs.

Enfantin était accusé d’avoir écrit, et Michel Chevalier d’avoir publié dans le Globe, un article intitulé : « Extrait du cinquième enseignement de Notre Père Suprême Enfantin sur les relations de l’homme et de la femme » ; Duveyrier, : d’avoir écrit et publié dans le même journal un article intitulé : « De la femme ». Appelés à la barre, les témoins cités à la requête des accusés demandèrent l’un après l’autre à Enfantin, qui refusait, l’autorisation de prêter serment. Le président les faisait se retirer à mesure, sans recevoir leur témoignage.

Les accusés protestèrent, déposèrent des conclusions ; elles furent rejetées par cet attendu capital et qui met à nu le vice organique de l’obéissance à la « loi vivante » qu’affirmait être Enfantin : « Que le serment est un acte libre et qui doit émaner de la seule volonté de celui qui le prête. » Seul Baud put témoigner : il affirma sa vénération pour le Père Enfantin et sa participation active à l’œuvre commune.

La parole fut ensuite donnée aux accusés et à leurs conseils. Rodrigues ter-