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melle de M. Reybaud, que cet accident avait rempli d’affliction et d’inquiétude. »

Après celui-ci et Pierre Leroux, ce fut Lechevallier qui s’en alla, n’y pouvant plus tenir. Il acceptait encore l’héritage de Saint-Simon, mais sous bénéfice d’inventaire. Finalement il alla se placer sous la discipline de Charles Fourier et revint prêcher la théorie sociétaire aux saint-simoniens.

Le 21 novembre, la scission était consommée : Cazeaux, Dugied, Carnot, Fournel et sa femme, Guéroult, Bazard et Claire Bazard se retiraient ; d’autres encore. Enfantin, proclamé Père suprême et unique, vit dans cette scission une hérésie comparable à celle qui avait déchiré la chrétienté trois siècles auparavant. Il qualifiait Bazard et les autres de protestants.

Il était pape, désormais. Mais un pape incomplet, puisque la Femme-Messie, destinée à compléter le couple pontifical n’avait pas encore répondu à l’appel. Alors, montrant le fauteuil vide de Bazard, il dit aux fidèles demeurés auprès de lui : « Voilà le symbole de cet appel, l’appel de la femme aux yeux de tous, » et nomma Rodrigues « chef du culte ».

Mais toutes ces querelles avaient ébranlé la foi de Rodrigues dans les procédés de gouvernement du Père suprême. Deux mois après, il s’en allait à son tour, en publiant un manifeste où il lui disait : « Vous pûtes faire accepter l’autorité à des esprits indisciplinés, fatigués et malades de scepticisme ; vous en avez fait des dévots et des fanatiques ; mais des hommes religieux, jamais. En ce moment l’orientalisme et ses doctrines d’adoration stupide et de lâcheté sensuelle aveuglent tous les Enfantinistes. » Il ne pouvait tolérer davantage le protestantisme de ceux qui, avec Bazard, étaient « retournés à des travaux individuels ».

« À moi, s’écriait-il, de commencer enfin l’œuvre pratique du Nouveau Christianisme. » La critique saint-simonienne a ruiné le libéralisme politique, la « conspiration morale » des enfantinistes « n’ira pas loin, malgré tout le talent et toute la dévotion qu’elle a corrompus à son service. La religion nouvelle aura bientôt triomphé des écueils qu’elle a dû rencontrer sur son chemin : la communauté des biens et la communauté des femmes ». C’est donc le moment de terminer, « dans la morale comme dans la politique, la lutte de l’oisif et du travailleur, du salon et de l’atelier, de l’amateur et du producteur, du mal et du bien ».

La « religion saint-simonienne » avait désormais deux chefs. Mais, en réalité, Rodrigues restait seul, et autour d’Enfantin le nombre des fidèles allait sans cesse diminuant. C’était la dissolution.

Les poursuites ordonnées contre la famille saint-simonienne, groupée autour d’Enfantin, retardèrent cette dissolution en ramenant autour de lui quelques dissidents, avides de partager les périls courus par leurs frères de la veille. Louvot-Demartinécourt, capitaine d’état-major en retraite, administrateur de mines, indigné de l’irruption de la police, quadrupla sa souscription à l’emprunt saint-simonien ouvert par les soins d’Isaac Pereire.

À l’annonce des poursuites, les journaux qui avaient crié « aux jésuites » crièrent à la captation des héritages, complétant ainsi l’assimilation des saint-