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ceurs. — De grands farceurs ! — Et moi qui, naguère, avais défendu, dans le Globe, l’extatique Mahomet contre le reproche de haute imposture, ce qui m’avait valu la grande colère de M. Cousin, d’accord en cela, disait-il, avec le citoyen Voltaire. Cette fausse appréciation d’Enfantin sur les religions et sur ceux qui, par leurs révélations, les ont causées, m’inspira une insurmontable défiance, et je vis du premier coup d’œil sa prodigieuse erreur du Prêtre-Comédien. »

Il la vit, mais tel était pour les esprits élevés le besoin d’une doctrine sociale moins négative que le libéralisme, qu’il demeura et, pendant un temps, fit grâce aux moyens en faveur du but. Mais à présent, il n’était plus possible de demeurer sans devenir un prêtre-comédien ou sombrer dans la folie mystique.

Pendant trois mois, des discussions passionnées ébranlèrent les nerfs et les cerveaux des membres du collège.

Dans une de ces réunions, Cazeaux, soulevé par un délire extatique, s’était mis à prophétiser. « D’autres membres, dit Laurent, sans pousser l’exaltation jusqu’à l’extase, éprouvèrent néanmoins des secousses nerveuses qui les rendirent malades. Quand le docteur Fuster survint, il trouva tout le monde en grand émoi et plus ou moins en état de fièvre. Il n’y avait guère qu’Enfantin qui eût gardé tout son calme. »

Des trois femmes qui faisaient partie du collège, l’une, Aglaé Saint-Hilaire, amie d’enfance de la famille Enfantin, accepta les théories nouvelles, bien que toute sa vie protestât contre un tel dérèglement moral ; la seconde, Cécile Fournel, sentit un instant fléchir sa foi, s’isola et revint se placer sous l’autorité du Père Enfantin. Quant à Claire Bazard. elle protesta de toutes ses forces contre l’institution religieuse du « sérail ». « Eloignée depuis quelque temps de son mari par une incompatibilité d’humeur, nous dit M. G. Weill, elle se trouva rapprochée de lui par une haine commune contre cette légitimation de l’adultère. »

La présence des femmes ne contribuait pas peu à enfiévrer les discussions. On eût dit qu’Enfantin voulait affirmer sa domination sur les âmes, plus encore que leur faire accepter le dogme nouveau, et ses affirmations étaient des sortes de défis à la raison comme aux sentiments les plus intimes. C’était véritablement un viol des pensées, une orgie intellectuelle où des femmes chastes et fières étaient sommées de se transformer en ménades ou de renoncer à la doctrine du progrès humain. Et l’homme qui soulevait cet abominable conflit dans la conscience pure de ces femmes vouées au salut du peuple demeurait calme et froid, tel un magnétiseur tentant de dominer son sujet et de supprimer en lui la volonté pour y installer la sienne, la loi vivante.

Tout le monde en délirait. D’aucuns tombaient épuisés de fatigue et d’émotion. « On enlevait les corps, dit Laurent, sans que pour cela la discussion s’arrêtât. » Olinde Rodrigues, le disciple immédiat de Saint-Simon, eut un soir une attaque, d’apoplexie parce que, ayant affirmé que le Saint-Esprit était en lui, Reybaud lui avait répondu par des paroles d’incrédulité. « La crise fut extrêmement violente et le docteur Fuster, pour sauver le malade, dut recourir à une rétractation for-