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Les cléricaux, eux, brochuraient et polémiquaient, quand ils ne trouvaient pas plus expéditif d’ameuter les fidèles contre les propagandistes. Les protestants, nous l’avons vu, se liguaient avec les catholiques contre cette nouvelle religion et la Société de la Morale chrétienne instituait un prix de cinq cents francs pour la meilleure réfutation du saint-simonisme.

Les républicains leur étaient-ils plus favorables ? Ils eussent passé sur la religion et ils approuvaient parfois les réformes sociales demandées dans le Globe, mais ils ne pouvaient acquiescer à la condamnation des principes de liberté, d’égalité et de souveraineté du peuple, formulée par les saint-simoniens.

Car, rapidement, sous l’impérieuse activité intellectuelle d’Enfantin, le caractère religieux du saint-simonisme dominait, jusqu’à l’effacer, le caractère social qui avait été le fond même de la pensée de Saint-Simon. Le pathos mystique noyait les affirmations sociales, et la critique véhémente du milieu économique s’achevait en effusions religieuses. D’ailleurs, nul souci de préciser les conditions économiques de l’association à laquelle on invitait les travailleurs, non sans leur avoir imposé un assez long noviciat où l’instruction morale et religieuse était plus développée que l’enseignement économique et social.

Cependant le Globe félicitait fréquemment les parlementaires libéraux en vue lorsqu’ils montraient quelque souci de la classe ouvrière. Mais ceux-ci lui en fournissaient assez rarement l’occasion. Citons, parmi ces rares fortunes, un éloge d’Arago pour son projet d’organisation de l’enseignement professionnel. Mais de programme économique et social un peu précis, point, sauf dans les lettres qu’un avocat, Decourdemanche, présenté par M. G. Weill comme « un saint-simonien de l’extérieur, qui ne paraît pas avoir adhéré à la religion elle-même », publia, vers la fin de 1831, dans le Globe.

Ce programme, exposé sous forme de lettres au rédacteur, réclamait l’abolition du privilège de la Banque de France, l’établissement de nombreuses banques libres, des lois plus favorables aux commerçants et moins dures pour les faillis, la suppression des emprunts hypothécaires, la mobilisation du sol, l’impôt progressif sur le revenu et l’abolition de l’hérédité en ligne collatérale.

C’est le programme économique, libéral et individualiste du radicalisme d’aujourd’hui. On n’y voit pas même la moindre loi protectrice du travail, bien que l’Angleterre eût ouvert la voie par les lois de 1802 sur le travail des enfants et de 1825 sur les associations professionnelles.

Michel Chevalier n’allait pas plus loin, mais voyait plus large. Dans un article très remarqué sur le Système méditerranéen, il traçait un vaste plan de travaux pour l’établissement de voies de communication reliant l’Europe à l’Orient, par chemins de fer et bateaux à vapeur, et assurant la domination de l’industrie sur la paresseuse féodalité du sol et l’inerte despotisme oriental.

« Quand Vienne et Berlin, disait-il, seront beaucoup plus voisins de Paris qu’aujourd’hui Bordeaux, et que, relativement à Paris, Constantinople sera tout au plus à la distance actuelle de Brest, de ce jour un immense changement sera