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qu’ils recourent uniquement pour opérer la grande réformation sociale, objet de leurs travaux. »

Autre chose encore leur commandait la prudence dans leur enseignement public. Pierre Vinçard, le poète ouvrier, qui devait adhérer à la doctrine et compter parmi les organisateurs de l’enseignement saint-simonien aux prolétaires, avoue que la première fois qu’il lut une de leurs affiches où le libéralisme négatif de l’époque était critiqué, il s’écria : « C’est une manœuvre des jésuites ».

À Versailles, où ils devaient organiser une réunion, le placard suivant fut apposé sur les murs : « Un rassemblement de jésuites doit avoir lieu vendredi soir, 18 février 1831, au Gymnase, avenue de Saint-Cloud. J’engage les bons patriotes de cette ville à vouloir bien se munir d’armes à feu, et à se transporter au lieu de la conspiration, afin de détruire toute cette canaille-là… Fait par un ami de la liberté. » Il ne faut pas oublier qu’à ce moment l’opinion était fortement remuée par la manifestation légitimiste de Saint-Germain-l’Auxerrois et par les troubles qui s’en étaient suivis.

Vinçard, cependant, avait voulu se rendre compte par lui-même. Séduit par la doctrine, il y adhéra. Un ouvrier tailleur, Delas, « peu intelligent, mais convaincu », nous dit M. G. Weill, amena trente prolétaires. On fonda alors le « degré des ouvriers », qui fut placé sous la direction de Mme Bazard et de Fournel.

Bientôt les ouvriers adhérents furent au nombre de 280, dont cent femmes. On nomma pour chacun des douze arrondissements de Paris un directeur et une directrice, chargés de s’occuper spécialement des travailleurs. Dans chacun de ces arrondissements un service médical et pharmaceutique gratuit avait été organisé, ainsi qu’un service de vaccination. Deux cents enfants pauvres étaient élevés par les soins de l’église saint-simonienne, qui essayait en tout de se rapprocher de la primitive église.

Mais, dit Fournel, dans son « rapport sur le degré des ouvriers », « notre but n’est pas de faire l’aumône, nous venons pour la faire disparaître. » Et ceci marque une profonde différence entre les disciples de l’auteur du Nouveau Christianisme et les adeptes du christianisme primitif. « Ce que nous voulons avant tout, ajoute Fournel, c’est l’Association ; et, comme nous ne pourrions aujourd’hui la réaliser telle que nous la concevons, nous avons dû chercher au moins à la réaliser en partie. Ainsi le but constant de nos efforts a été d’associer les ouvriers pour le logement, la nourriture et le chauffage, et déjà dans deux arrondissements ces associations sont prêtes à se former. » Les dissidences religieuses devaient anéantir tous ces beaux projets.

Pour toutes ces œuvres, il fallait de l’argent. Les saint-simoniens n’en manquaient pas, comme nous allons voir plus loin, ce qui leur avait permis d’organiser de sérieux moyens de propagande. À l’Organisateur de 1829, qui avait succédé au Producteur, fondé en 1825 par Saint-Simon, ils avaient, en juillet 1831, substitué le Globe, journal quotidien, dont le directeur, Pierre Leroux, avait adhéré à la doc-