Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.

près. Le huitième enseignement, donné rue Monsigny tous les lundis soir, s’adressait à un petit nombre d’ouvriers choisis. Enfin un enseignement en langue italienne avait été organisé à la salle Taitbout.

Tous ces enseignements étaient suivis avec assiduité par un public attentif, avide de savoir. Ceux qui le dispensaient étaient presque tous préparés par de fortes études à exercer une influence sur les esprits. Citons parmi les orateurs principaux, Barrault, professeur de littérature à l’École Polytechnique. Comment n’eût-il pas ému le public lorsqu’il lui lançait des apostrophes telles que celle-ci :

« Pendant que notre raison pèse avec une orgueilleuse lenteur, scrute avec une minutieuse complaisance les moindres détails de l’ordre social que nous apportons, n’entendez-vous pas les cris de douleur ou de rage, les gémissements, les cris étouffés et le râle de tant d’infortunés qui souffrent, se désolent, languissent, expirent ? Écoutez, écoutez, enfin ! »

Et, s’adressant aux « enfants des classes privilégiées, » avec une véhémence inspirée de prophète antique, il leur prouvait leur solidarité avec les misérables, il proclamait la responsabilité des heureux dans la détresse de ceux qui les nourrissent. Nous avons donné dans un précédent chapitre cette célèbre apostrophe. Tant qu’il demeurera dans le monde un être vivant du travail et de la peine d’autrui dans la joie et l’insouciance, l’appel de Barrault pèsera sur sa conscience.

Barrault, lorsque la doctrine lui inspirait de tels mouvements, était bien le fils, par le cœur et par l’esprit, de Saint-Simon, devant qui les savants eux-mêmes ne trouvaient pas grâce, dans leur œuvre d’enrichissement de l’avoir humain, puisque seuls les privilégiés avaient part à cette richesse et que la science était sans philosophie et sans morale, ne faisait rien même pour empêcher les hommes de s’entretuer. « Rien, que dis-je ! s’écriait-il. C’est vous qui perfectionnez les moyens de destruction. »

Imaginez le discours de Barrault avec « l’entraînement de la parole, la puissance du geste et de la voix » qui étaient les caractères de son talent et faisaient de lui un orateur de premier ordre, et vous vous rendrez compte qu’Enfantin ne devait pas exagérer lorsqu’il écrivait à Duveyrier, à propos de ce discours : « Hier, effet prodigieux de Barrault sur le public, applaudissements à tout rompre quand il dit de jurer. Sanglots, larmes, embrassements, tout le monde en émoi ! » Mais le pontife suprême de la doctrine ne se faisait pas illusion sur ces mouvements d’enthousiasme, « Et qu’en sort-il souvent ? disait-il, jusqu’ici du vent. »

C’était surtout parmi les professeurs et les anciens élèves de l’École Polytechnique que se recrutaient les propagandistes saint-simoniens. Laurent, qui y enseignait la philosophie, était un polémiste incisif. C’est lui qui rédigea l’article que nous avons cité sur l’hérédité de la pairie. Plus connu par la suite sous le nom de Laurent (de l’Ardèche), il entra dans la politique, se rallia au second Empire et couvrit de ses anathèmes la Commune, à laquelle il ne comprit rien, faute d’avoir