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ment de sympathie, il a été déployé beaucoup de courage ». Et faisant avec bonhomie allusion à la proposition faite par quelques insurgés de le tuer afin de le présenter ensuite au peuple comme une victime des soldats de Louis-Philippe, La Fayette ajoute : « Il y avait bien là quelques jeunes fous qui voulaient me tuer en l’honneur du bonnet rouge ; je les plains de tout mon cœur ».

Plus équitable qu’Odilon Barrot pour le roi, le parti conservateur sut gré à Louis-Philippe de ne s’être pas enfui à Saint-Cloud et d’avoir défendu lui-même le pouvoir. Dans les documents inédits qui ont été mis à sa disposition, M. Thureau-Dangin constate cet état d’esprit. « Le roi a beaucoup gagné, écrivait un des chefs du parti conservateur, non seulement dans les rues, mais dans les salons. C’est le propos courant du faubourg Saint-Germain que, le 6 juin, il a pris sa couronne. » Qu’est-ce, en effet, qu’un roi qui ne verse pas le sang pour conquérir ou garder le pouvoir !

À ce signe, l’aristocratie reconnaît qu’elle peut cesser de bouder aux emplois et aux honneurs. Mais il faut que le roi continue. « C’est le moment ou jamais de prendre une attitude et de commencer une attitude de gouvernement. » Louis-Philippe, le lecteur le sait, ne demandait pas mieux.

Le soir même du 6 juin, alors qu’Odilon Barrot incriminait devant lui la politique des ministres et la rendait responsable de ce qui s’était passé, il l’interrompait brusquement et, déclarant qu’il ne savait ce qu’on entendait par la politique de ses ministres : « Sachez, messieurs, ajoutait-il, qu’il n’y a qu’une politique, et c’est la mienne. Essayez de me persuader, et j’en changerai ; mais, jusque-là, dût-on me piler dans un mortier, je ne m’en départirai pas. »

Et sa politique s’affirma immédiatement par des saisies de journaux et des arrestations de journalistes, notamment un mandat d’arrêt contre Armand Carrel. L’état de siège fut proclamé, l’artillerie de la garde nationale licenciée, l’école vétérinaire d’Alfort et l’École Polytechnique fermées. Des arrestations en masse furent faites ; les prisonniers étaient assommés dans les postes par les policiers, qui les traînaient ensuite devant les conseils de guerre.

Mais leurs jugements furent annulés par la cour de cassation et c’est devant le jury que les insurgés comparurent. Jeanne y fut admirable de fermeté sans bravade. Il fut condamné à la déportation. Sur vingt et un autres accusés, seize furent acquittés ; les cinq autres condamnés aux travaux forcés, à la réclusion et à la prison.

On peut comparer avec la férocité que Thiers déploiera quarante ans plus tard, lorsqu’il sera le seul maître. On peut aussi comparer l’attitude de l’Assemblée nationale de 1871, — où il ne se trouva point, même parmi les républicains, une voix pour protester contre les félicitations aux massacreurs qui s’acharnaient sur les vaincus — à celle de la Chambre de 1832, où du moins le général Demarçay s’éleva contre un député qui avait soutenu que « les soldats qui venaient de réprimer une émeute avaient même droit à la reconnaissance que les combattants de Juillet, » et dit courageusement :