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Martin, devenue d’ailleurs une véritable forteresse, mais aussi une souricière. Deux barricades la défendent à l’angle de la rue Maubuée et à l’angle de la rue Saint-Merri. Les gardes nationaux de la banlieue, excités par le vin autant que par la colère, se jettent sur celle-ci. Une décharge les met en déroute, et on ne les reverra qu’après la défaite pour s’associer aux fureurs de la police contre les vaincus. C’est ce que M. Thureau-Dangin déclare avoir « répondu à l’appel » du gouvernement « avec une passion irritée ».

Jeanne, qui commandait la forteresse de la rue Saint-Martin, appartenait à « la fleur d’une jeunesse exaltée, dit Heine, qui sacrifiait sa vie pour les sentiments les plus sacrés ». Mais le canon fut amené, et la barricade dut être abandonnée. Dix-sept héros se retranchèrent dans la maison portant le numéro 30 de la rue Maubuée, tandis que Jeanne et quelques autres faisaient à la baïonnette une trouée dans les rangs épais des soldats, et se perdaient dans la ville. La maison fut forcée et ses défenseurs tués à la baïonnette.

« Ce fut, déclare Henri Heine, le sang le plus pur de la France qui coula rue Saint-Martin, et je ne crois pas qu’on ait combattu plus vaillamment aux Thermopyles qu’à l’entrée des petites rues Saint-Méry et Aubry-le-Boucher, où à la fin, une poignée d’environ soixante républicains se défendirent contre soixante mille hommes de la ligne et de la garde nationale, et les repoussèrent deux fois. Les vieux soldats de Napoléon, qui se connaissent en faits d’armes aussi bien que nous en dogmatique chrétienne, médiation entre les extrêmes ou représentations théâtrales, assurent que le combat de la rue Saint-Martin appartient aux faits les plus héroïques de l’histoire moderne. Les républicains firent des prodiges de bravoure, et le petit nombre de ceux qui ne succombèrent pas ne demandèrent pas merci. C’est ce que confirment toutes mes recherches faites consciencieusement ainsi que l’exigeait ma mission. Ils furent en grande partie percés par les baïonnettes des gardes nationaux. Quelques-uns de ces républicains, voyant que la résistance devenait inutile, coururent, la poitrine découverte, au-devant de leurs ennemis et se firent fusiller. »

Odilon Barrot feint de rabaisser l’héroïsme des vaincus afin de mieux satisfaire, à sa manière sournoise, ses sentiments à l’égard de Louis-Philippe. Celui-ci avait eu la pensée, courageuse en somme, de se montrer aux Parisiens immédiatement après la victoire. Cette promenade n’était pas sans péril, car si l’insurrection était vaincue, la répression ne l’avait pas désarmée.

Étant allé aux Tuileries, Odilon Barrot trouva « le roi encore tout animé de la course qu’il venait de faire à travers les rues de Paris, et assez exalté de la victoire que quelques coups de canon contre les murs du cloître Saint-Merri venait de lui assurer ». La Fayette, qui avait l’âme mieux placée, dit bien que « le système du 13 mars », c’est-à-dire le système de résistance inauguré par Casimir Perier « ne pouvait être sauvé que par l’incartade d’un petit nombre d’exaltés prenant pour symbole le bonnet rouge ».

Mais du moins il salue l’héroïsme de ces « exaltés » et déclare que « parmi ceux qui se sont battus, insurgés avec préméditation ou gens entraînés par un mouve-