Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le peuple était maté. Tranquille de ce côté, le duc d’Orléans avisa à se débarrasser du roi déchu. Charles X s’était replié de Saint-Cloud sur Rambouillet, mais il n’en était pas moins à la tête d’une armée de douze mille hommes. De là, il avait offert, le 1er août, la lieutenance générale au duc, qui l’avait refusée, l’ayant déjà acceptée de la Chambre. Revenant à la charge le lendemain, il lui notifiait son abdication et celle du duc d’Angoulême, et le chargeait de proclamer le petit duc de Bordeaux sous le nom d’Henri V. Le duc d’Orléans fit enregistrer en hâte les deux abdications et s’abstint naturellement de souffler mot de la proclamation. Ou plutôt il y répondit en envoyant à Rambouillet une mission chargée de décider Charles X à quitter la France et, dit le Moniteur, de « veiller à sa sûreté jusqu’à la frontière ».

L’un des commissaires, Odilon Barrot, aurait, selon Louis Blanc, demandé au duo des instructions pour le cas où on leur remettrait le duc de Bordeaux, et le prince aurait répondu avec vivacité : « Le duc de Bordeaux ! mais c’est votre roi ! » Présente à cette scène, la duchesse d’Orléans se serait jetée dans les bras de son époux en disant : « Ah ! vous êtes le plus honnête homme du royaume ! » Ce trait de comédie est joli, surtout lorsqu’on ne peut plus se prendre, comme Louis Blanc, à la mine d’austérité de cette princesse, dont le rôle, dans la captation de l’héritage des Condé, est à présent connu.

Odilon Barrot, dans ses Mémoires, modifie les traits et neutralise les tons de ce tableau de famille, qui, selon lui, se place, non avant son départ pour Rambouillet, mais à son retour, c’est-à-dire après que Charles X eut éconduit les commissaires du nouveau gouvernement.

« Le duc, dit-il, se récriait sur la fatale destinée qui le condamnait à être l’instrument de la déchéance et de l’exil d’une famille qui l’avait comblé de bienfaits et pour laquelle il avait une si profonde affection. Ses paroles étaient entrecoupées de sanglots ; la duchesse, de son côté, livrée à une extrême agitation, se jetait au cou de son mari, cherchant à le consoler, à le soutenir, et se tournant vers moi : « Le voyez-vous, disait-elle, c’est le plus honnête homme du monde. »

Le second récit est peut-être le vrai ; mais le premier est certainement plus vraisemblable. Car, jusqu’au bout, le duc d’Orléans jouera un double jeu, recevant les républicains au Palais-Royal, allant même les trouver à l’Hôtel de Ville, et continuant à multiplier auprès de Charles X les protestations de loyalisme. Il ira même, au dire du marquis de Flers, qui, dans le Roi Louis-Philippe, cite de sérieuses références, jusqu’à inviter le vieux roi à remettre entre ses mains le duc de Bordeaux.

Un officier anglais, le colonel Caradec (depuis lord Howden), attaché à l’ambassade de son pays, fut, sur la demande du lieutenant-général, autorisé par lord Stuart, l’ambassadeur, à remplir cette mission. « Le colonel se rendit au Palais-Royal le 3 août, dit le marquis de Flers, et le duc d’Orléans lui remit un billet qui fut cousu dans le collet de son habit ; il était ainsi conçu : « Croyez, sire, tout ce que le colonel Caradec vous dira de ma part. Louis-Philippe d’Orléans »… Charles X