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pouvoir avait été si ardente, si manifeste, si brutalement exubérante que ceux-ci en oublièrent la plus élémentaire retenue. Et l’on put lire, le 17 mai, la déclaration que voici : « À la nouvelle de la mort du président du conseil, les détenus politiques soussignés, carlistes et républicains, ont unanimement résolu qu’une illumination générale aurait lieu ce soir à l’intérieur de leurs humides cabanons. Signé : baron de Schauenbourg, Roger, Toutain, Lemerle, henriquinquistes (sic) ; Pelvillain, Considère, Deganne, républicains. »

Aux premiers jours de sa maladie, Casimir Perier avait dû céder le portefeuille de l’intérieur à Montalivet ; il ne fut pas remplacé immédiatement à la présidence du conseil. Tant qu’il le put, le roi conserva cette présidence. Cela répondait à ses sentiments secrets. Il masquait en effet sous des phrases libérales un violent appétit de gouvernement personnel. Nous savons déjà, et nous le verrons avec plus de précision dans la suite de ce récit, qu’il entendait être le véritable directeur de la politique étrangère. Casimir Perier, de son côté, n’était pas homme à lui abandonner la moindre parcelle de son autorité. Et de fait, n’était-ce pas lui qui, de par la charte, assumait les responsabilités ?

Aussi, rien n’était plus tristement comique que les doléances de Louis-Philippe sur son trop autoritaire ministre. M. Thureau-Dangin convient lui-même qu’il cherchait « à se faire une sorte de popularité libérale aux dépens de ses conseillers, notamment de Casimir Perier ». Il allait jusqu’à dire à ses intimes, et il prenait parfois ses intimes à dessein parmi les membres de l’opposition : « Ce matin, il y avait des avis pour la mise en état de siège et je m’y suis formellement opposé ». « Déclaration d’autant plus fâcheuse, dit M. Thureau-Dangin, que, le lendemain, le ministère décidait cette mise en état de siège… Louis-Philippe se vantait également de s’être « opposé aux mesures d’exception que Perier lui proposait souvent quand il était « dans ces accès de colère qui, ajoutait-il, nous ont nui plusieurs fois. » À un autre moment, il disait « n’avoir jamais deviné par quel caprice Perier s’était opposé obstinément à une démarche demandée par M. Arago ».

Il est certain qu’entre ces deux autoritaires, l’un violent et d’intelligence plutôt courte, l’autre cauteleux et avisé, la lutte devait être incessante, et Casimir Perier n’y eût jamais eu le dessus, s’il n’avait eu, dans des emportements qui le servaient, la ressource de mettre brutalement son royal adversaire en demeure de céder ou d’avoir à se débrouiller tout seul avec la fronde des salons, la polémique des journaux, l’opposition parlementaire et l’émeute de la rue.

L’émeute de la rue un instant calmée, pour éclater plus furieuse quelques jours après, l’opposition de la Chambre se manifesta d’une manière collective par un compte rendu adressé au pays, dû à la collaboration de Cormenin et d’Odilon Barrot. Cent trente-cinq députés avaient signé ce compte rendu qui aviva les polémiques et remua profondément l’opinion.

Le gouvernement y était dénoncé avec la véhémence de Cormenin attiédie par la prudence d’Odilon Barrot. On reconnaissait la marque du premier à des phrases comme celle-ci : « La Restauration et la Révolution sont en présence : la