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crate. Magistrat démissionnaire, il vient d’être élu, en juillet 1831, député de la Côte-d’Or sur un programme libéral où il demande « la non-hérédité de la pairie » et « l’amélioration du sort du peuple en élevant sa condition sans humilier ni abaisser celle des classes plus fortunées ».

En mars se produisit à Grenoble un incident qui a donné naissance à une locution désormais proverbiale, et que nous relatons surtout parce qu’il indique exactement les sentiments de l’opinion moyenne du moment et l’état d’esprit de l’armée au lendemain d’une victoire remportée sur elle par le peuple. À propos des fêtes du carnaval, des jeunes gens avaient organisé à Grenoble une mascarade représentant le budget et les crédits supplémentaires. Maladroitement, le préfet, Maurice Duval, envoya des soldats pour disperser la mascarade. Il y eut des bousculades et des coups, des femmes et des enfants furent piétinés.

En un clin d’œil, la ville fut sens dessus dessous. Les soldats qui avaient si brutalement exécuté les ordres absurdes du préfet appartenaient au 35e de ligne. Les habitants coururent sus à tous ceux qui portaient ce numéro détesté. Le soulèvement était si unanime que le général Hulot, commandant de Lyon, dut rappeler le régiment et le remplacer par le 6e. Pour calmer l’effervescence, le général Saint-Clair, commandant la place de Grenoble, fit faire le service de la place par la garde nationale. Cela n’empêcha pas le 35e d’être furieusement conspué lors de son départ. Il lui fut fait ce qu’on a appelé depuis une conduite de Grenoble.

Informé des faits, Casimir Perier haussa de plusieurs crans son état de fureur habituel : il envoya le général Hulot en disgrâce à Metz, destitua le général Saint-Clair et fit adresser des félicitations au 35e par le ministre de la guerre. Le temps était loin où Casimir Perier protestait contre « les excès des soldats conduis par des hommes coupables » et montrait aux ministres de Louis XVIII le « danger de développer tous les jours l’appareil militaire au milieu d’une population où chacun pouvait se rappeler qu’il avait été soldat ».

À la misère du chômage de l’hiver 1831-1832 vint s’ajouter un fléau qui ravagea surtout les taudis où les travailleurs étaient entassés. Le choléra était venu d’Orient, décimant sur son passage la Russie et la Pologne, ravageant l’Allemagne. La bourgeoisie n’en fit pas moins gai carnaval. « Cet hiver, dit Henri Heine, les bals à Paris ont été plus nombreux que jamais… il fallait faire monter les fonds… ils ont dansé à la hausse ». Mais le poète note une danse plus macabre, celle qu’exécutent devant le buffet vide les prolétaires sans travail. Il note que beaucoup « meurent réellement de faim » et il ajoute qu’ « on verrait ici tous les jours plusieurs milliers d’hommes » dans l’état où était au mardi gras, près de la porte Saint-Martin, un malheureux « pâle comme la mort et en proie à un râle affreux », si ces hommes « pouvaient le supporter plus longtemps ».

Mais, ajoute-t-il, d’ordinaire « après trois jours passés sans nourriture, les pauvres gens trépassent, l’un après l’autre ; on les enterre en silence ; à peine le remarque-t-on ». On pense si un peuple ainsi débilité offrait une proie toute prête au choléra. Nous avons vu dans la première partie de ce travail quelles étaient les affreuses