Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soudre la société. Ce procès, dit des Quinze, vint aux assises de janvier. Trélat, Raspail, Blanqui, Antony, Thouret, étaient parmi les accusés.

Cette fois, c’est la question sociale qui se pose, et non plus seulement celle de savoir si la république vaut mieux que la monarchie. Raspail, en effet, avait, sans préciser sa doctrine en formule, un sens très vif du lien intime qui existait entre la démocratie et le socialisme. Pour lui, la république était le moyen de réaliser graduellement l’émancipation des prolétaires. Avant toute chose, elle leur devait donc l’instruction et, par une intervention active de l’État, la protection de leur salaire. Ses travaux en chimie et en histoire naturelle, qui font de lui le précurseur immédiat de Pasteur, n’étaient à ses yeux qu’un instrument d’émancipation des travailleurs. Un des premiers, il aperçut le rôle capital de l’hygiène dans la vie sociale et morale.

Toujours en lutte contre les savants officiels et les académies, il refusa de s’agréger au mandarinat et, pauvre, n’accepta ni les places ni la décoration que le gouvernement lui offrait pour faire cesser son hostilité. Il avait refusé les honneurs d’un ton si fier, si insultant pour Casimir Perier, que sa lettre, publiée dans la Tribune, lui valut une condamnation à trois mois de prison, prélude d’une série de persécutions qui ne devaient finir qu’avec sa longue existence.

Interrogé sur le caractère de sa propagande, et sur son but, Raspail commença par récuser ses juges. Qu’est-ce que le jury ? leur dit-il. Les représentants des propriétaires. Ceux qui possèdent le privilège de la propriété ne peuvent s’arroger le droit de juger les représentants de ceux qui meurent de faim. « Il nous faut, dit-il, un système tel qu’en l’appliquant il n’existe plus en France un seul homme malheureux, si ce n’est par sa faute ou par le vice de son organisation. »

Dans sa défense, Trélat ne parla pas autrement. Tout comme Raspail, il posa la question sociale. « C’est encore la question du Mont-Aventin qui s’agite, dit-il, c’est la cause des patriciens contre les plébéiens, celle de toutes les aristocraties contre le peuple de tous les pays : c’est la cause qui a fait crucifier il y a deux mille ans le philosophe Jésus. » Il n’était d’ailleurs point pour les moyens violents : « Le temps de la Charbonnerie et des sociétés secrètes est passé, disait-il dans une brochure parue quelque temps après ; chacun, à l’heure qu’il est, agit à la face du ciel ; le plus puissant moyen d’action est la publicité, et c’est se condamner à l’impuissance que de mettre en œuvre d’autres agents que ceux de son époque. »

Blanqui acheva de donner un caractère socialiste à ce procès fait à des républicains. Interrogé sur sa profession, il répondit : « Prolétaire ». Il ne répudia pas les moyens violents et sa défense, ou plutôt son réquisitoire, commençait ainsi : « Je suis accusé d’avoir dit à trente millions de Français, prolétaires comme moi, qu’ils avaient le droit de vivre ». Et pour ne laisser aucune illusion aux jurés sur le caractère révolutionnaire et socialiste de l’agitation républicaine à laquelle il prenait part, il ajoutait : « Ceci est la guerre entre les riches et les pauvres ; les riches l’ont ainsi voulu, car ils sont les agresseurs ».

Telle était alors la notion libérale du jury parisien sur l’expression de la pensée,