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des jurés. Il usait auprès d’eux d’un moyen plus efficace en publiant leur vote dans les procès de presse. Les jurés votèrent alors secrètement. La Tribune les menaça « de publier la liste de toutes les condamnations avec les noms des jurés en regard ». M. Thureau-Dangin affirme que ces dénonciations eurent « parfois des suites matérielles », et il se fonde sur le témoignage du procureur-général Persil pour citer le cas d’un notaire du faubourg Saint-Antoine « dévalisé, dans les Journées de juin 1832, pour avoir condamné la Tribune ». Il est bien étrange que ce fait n’ait été dénoncé qu’un an après à la Chambre.

Le jury n’acquittait pas toujours. En cinq ans, la Tribune avait collectionné cent quatorze procès et subi près de deux cent mille francs d’amende. Rien que pour les deux premières années du régime, on compte quatre-vingt-six condamnations prononcées contre des journaux opposants, dont quarante et une à Paris, formant un total de plus de douze cents mois de prison et de près de trois cent cinquante mille francs d’amende. Au premier octobre 1834 cette statistique devait s’élever à cent quatre années de prison réparties entre les divers journalistes de l’opposition.

Les récriminations des hommes de la résistance contre la mollesse du jury attestent donc surtout leur haine de toute liberté. D’ailleurs, le jury n’avait pas que des journalistes à condamner. Bien souvent le ministère traînait à sa barre des républicains dont le seul crime était d’avoir formé des associations pour la propagande des idées modernes et pour la création d’œuvres d’enseignement populaire.

Depuis que Raspail avait succédé à Trélat en qualité de président de la société des Amis du Peuple, ce groupe républicain, renonçant aux déclamations terroristes imitées de 1793, faisait dans la classe ouvrière parisienne une active propagande en essayant de créer des cours d’adultes. « Chaque sociétaire de bonne volonté, dit M. G. Weill dans son Histoire du parti républicain, prit sous son patronage cinq ou six familles pauvres, en s’engageant à instruire les enfants, à chercher de l’ouvrage pour les parents, à placer leurs produits, à leur procurer des secours médicaux. »

Les associations républicaines de Paris, qui avaient des correspondants dans les grandes villes de province, rivalisaient de zèle dans cette œuvre de pénétration pacifique de la classe ouvrière. La société Aide-toi, l’Association pour la liberté de la presse, l’Association pour l’instruction du peuple aidaient puissamment au progrès des idées. Mais c’est surtout à la Société des Amis du peuple qu’on devait la publication de brochures d’actualité qui éclairaient les faits contemporains à la lumière de la doctrine républicaine. Certaines de ces brochures affirmaient le caractère social de la démocratie. L’une d’elles traitait de la question du machinisme et de la situation faite aux prolétaires par son introduction dans l’industrie.

Casimir Perier s’aperçut qu’une telle propagande était plus dangereuse pour le régime que les appels à la violence. Il prit donc prétexte des brochures et du bulletin que publiait la société des Amis du Peuple pour obtenir une condamnation de presse qui lui permettrait de mettre les propagandistes sous les verroux et de dis-