milieu de sa victoire sans l’avoir achevée, et le pousser à reprendre le combat au point où il l’avait laissé.
Il y avait bien un autre moyen : instruire patiemment le peuple de ses droits, créer en lui une force consciente irrésistible. Mais les républicains d’alors étaient imbus de cette notion mystique qu’il suffisait de les lui révéler, et même de les lui donner, au besoin de les lui imposer révolutionnairement, par le coup de force heureux de quelques centaines de dévoués. Il semblait à l’impatience des républicains que le chemin le plus direct fût le plus court, et que c’était perdre un temps précieux que de le consacrer à l’éducation populaire.
Les journaux républicains, la Tribune et le National, montraient d’ailleurs beaucoup plus d’ardeur à exciter l’animosité des classes libérales contre le pouvoir qu’à répandre la lumière dans les classes populaires, où les journaux ne pénétraient du reste pour ainsi dire point. Mais si les ouvriers et les artisans ne lisaient pas les journaux, très coûteux encore à cette époque, puisque, quelques années plus tard, Émile de Girardin devait accomplir une véritable révolution dans le journalisme en fixant à deux sous le prix de sa feuille, ils n’en étaient pas moins tenus au courant, de seconde main, des polémiques retentissantes menées par les hommes de la Tribune et du National.
Armand Carrel, polémiste vigoureux, d’un talent froid et méprisant, venait de donner le National au parti républicain. Bien qu’il se fût classé parmi les modérés du parti, le ton de ses articles était parfois singulièrement violent. Au lendemain de son adhésion au parti républicain, le 24 janvier 1832, il écrivait, s’adressant à Casimir Perier pour lui reprocher l’arrestation illégale de journalistes : « Il faut que le ministre sache qu’un seul homme de cœur, ayant la loi pour lui, peut jouer, à chances égales, sa vie contre celle non seulement de sept ou huit ministres, mais contre tous les intérêts, grands ou petits, qui se seraient attachés imprudemment à la destinée d’un tel ministère. »
Mais voici qui est mieux dans le genre de violence à froid où il excellait : « Comme il n’y a que le malheur qui rende les princes intéressants, on se surprend à souhaiter aux femmes accomplies qui composent la famille de Louis-Philippe ce je ne sais quoi d’achevé que Bossuet admirait dans la veuve de Charles Ier. » L’article d’où j’extrais ce passage fut poursuivi. Le jury acquitta.
Si les modérés allaient de ce pas, quelle devait être l’allure des autres, les rédacteurs de la Tribune ? Voici un exemple, entre cent, de ses vivacités. Dans un article où elle rappelait la jeunesse du roi, ses sollicitations auprès de l’Angleterre pour obtenir un commandement contre les armées françaises, on lisait ces lignes : « Où est la force de la royauté ? La tire-t-elle de l’illustration de la maison d’Orléans ? Prenez son histoire : hommes et femmes, c’est à repousser de dégoût. Est-ce de la considération particulière de Louis-Philippe ? Nous consentons à la faire apprécier par un jury, et nous le tirerons au sort parmi ceux qui ont vu l’homme de plus près. » Le jury, appelé à apprécier, ratifiait le jugement de la Tribune.
Le journal républicain ne se contentait pas de faire appel aux appréciations