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lementaires. Avait-on fait une révolution simplement pour augmenter le traitement du premier fonctionnaire de l’État ? N’était-ce pas, au contraire, l’occasion de marchander et d’obtenir un rabais ? Un roi au rabais, voilà ce que voulait la boutique, habituée à compter, et aussi à vérifier soigneusement la feuille du percepteur. Puisque le roi n’était pas un conquérant, puisqu’il refusait de lancer ses bataillons sur le Rhin et de ramener le drapeau tricolore dans les plaines de la Lombardie, qu’avait-on besoin d’une maison militaire ? « Ce roi, disait ironiquement le Globe, chef d’une nation devenue industrielle, d’une bourgeoisie pacifique, n’est entouré que d’hommes ceignant l’épée et chaussant l’éperon. »

Dans le même organe des saint-simoniens, Michel Chevalier, parlant du récent voyage de Louis-Philippe en Alsace, dit qu’en réponse aux doléances des industriels, lui dépeignant le chômage qui fermait les ateliers et laissait les ouvriers sans pain, il n’avait trouvé que ces mots : « Je ne puis que gémir ». Et à cette impuissance du roi, qui se manifeste par des « vœux stériles », l’écrivain saint-simonien oppose sa puissance en face de malheurs d’une autre nature :

« Supposons qu’au moment où le roi Louis-Philippe venait de faire cette réponse aux magistrats alsaciens, un courrier arrivé en toute hâte, fût entré dans cette même salle et lui eût dit : « Sire, les troupes françaises se gardaient mal dans leurs cantonnements ; les colonels ne s’entendaient point, le désordre était parmi les soldats ; quatre-vingt mille Austro-Sardes ont débouché à l’improviste par Montmélian ; Grenoble est pris, Lyon est bloqué, l’armée est à la débandade ». Supposons qu’à cette funeste nouvelle, le roi eût répondu par ces mots : Je ne puis que gémir, qu’en eût-on pensé ? Qu’en eût-il pensé lui-même ? Et lorsque les industriels ne s’entendent pas, lorsque le désordre est dans l’organisation industrielle, lorsqu’une grande catastrophe vient les atteindre à l’improviste, lorsqu’ils sont bloqués par la faillite, n’a-t-on rien à leur dire que ces mots désespérants ? n’a-t-on rien à faire pour les sauver de leur perte ? Si les intérêts industriels sont reconnus supérieurs aux intérêts guerriers, conçoit-on tant de zèle pour la guerre, une si maigre sollicitude pour le travail ?… »

Payer dix-huit millions cette « si maigre sollicitude », c’était évidemment être volé. La critique saint-simonienne ne renforça guère l’opposition de la classe moyenne, bien que, dans sa passion, elle fît flèche de tout bois contre la cour. La liste civile, ramenée à douze millions, ébranchée de l’apanage et des dotations, fut tout de même votée. Mais il y eut à la Chambre cent dix-neuf opposants, et on put craindre un moment, dans l’économe ménage royal, d’être forcé de restituer au Trésor les sommes dépensées depuis le 8 août 1830 et qui avaient été ordonnancées au taux de dix-huit millions par an.

Pendant tout son règne, le roi au rabais allait avoir à mendier au Parlement les sommes qui étaient nécessaires au « rang » de sa nombreuse postérité, et à essuyer d’innombrables rebuffades d’une bourgeoisie résolue à marchander et à ne payer qu’au plus juste prix.

Tandis que ces chicanes occupaient la cour, la ville et les Chambres, un étrange