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Le retentissement à la Chambre fut d’une insignifiance violente et puérile. L’opposition, absolument démontée par le caractère de cette insurrection purement ouvrière, se perdit dans de misérables chicanes de mots. Les saint-simoniens furent accusés, au cours de cette discussion, d’avoir fomenté le mouvement de Lyon, quelques-uns d’entre eux étant allés récemment faire des conférences dans cette ville.

Dupin ainé, avec sa verve grossière et perfide, montra dans les adeptes de la « prétendue nouvelle religion » des affiliés des jésuites. « Les hommes qui n’osent plus aujourd’hui sous leur ancien masque, dit-il, et dont la figure est la même en dessous, propagent aujourd’hui une nouvelle religion, en haine de la propriété individuelle, de l’hérédité. Ils s’interdisent le mariage, ils ne connaissent pas les affections de la famille, ces gens-là. » C’était une allusion transparente à l’interdiction faite par Enfantin à Eugène Rodrigues d’épouser une jeune fille éperdument aimée, afin de se consacrer exclusivement à la doctrine.

Au milieu du rire général, noté par le Moniteur, l’orateur poursuivit : « Ils voudraient aujourd’hui faire de leur société un vaste couvent dont les chefs, sous le nom de capacités, seraient des moines, et dont les membres, sous le nom de travailleurs, seraient des pénitents. » Sa conclusion produisit une forte sensation : « Ils voudraient aujourd’hui, s’écria-t-il, réaliser l’Eldorado du Paraguay, où tout revient au chef suprême, et où il existe une véritable égalité, celle de la servitude et de l’abrutissement les plus complets. »

Mais tout cela n’établissait pas la complicité des saint-simoniens dans l’insurrection. Casimir Perier n’eût pas demandé mieux que de leur en faire porter directement la responsabilité, mais un député de ses amis, Félix Bodin, l’en dissuada en lui démontrant l’impossibilité d’établir un lien juridique entre la prédication saint-simonienne et le soulèvement des ouvriers lyonnais. Étant allé voir ensuite les saint-simoniens à leur maison de la rue Monsigny, Félix Bodin se fortifia dans la conviction qu’ils n’étaient pour rien dans l’insurrection.

« Les événements de Lyon, lui dit un membre du collège, (ainsi s’appelait le comité directeur), se sont accomplis en opposition directe avec nos principes et nos vœux ; mais ils justifient aussi nos prévisions, et c’est là notre tort auprès des conservateurs endurcis, lesquels se moquaient de nos avertissements, quand nous leur disions que le progrès pacifiquement consenti pouvait seul prévenir les tentatives du progrès brutal, poursuivi par la violence. » Autant eût valu parler hébreu à ce brutal, à ce violent qu’était Casimir Perier.

D’instinct, il avait beaucoup plus la crainte de la propagande pacifique des idées, contre laquelle il se sentait désarmé, que des complots révolutionnaires et des tentatives d’insurrection. Contre les complots, il avait la police, et contre l’insurrection, l’armée et la garde nationale. Il s’était peu effrayé du refus de quelques saint-simoniens de prendre leur service de gardes nationaux, refus qu’ils motivaient par leur caractère religieux. La propagande dans l’armée n’avait pas été entravée ; et si quelques officiers donnaient leur démission : tels Tourneux, Bruneau,