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cet armurier qui leur donne ses fusils, se rangent du côté des ouvriers. Baune, Lortet, Lagrange, Jules Favre, alors tout jeune, groupés autour du journal démocrate le Précurseur, rédigé par Petetin, ne se prononcent pas.

Malgré la résistance des troupes du général Roguet, peu nombreuses et à demi démoralisées d’ailleurs, les ouvriers des faubourgs passent les ponts et rejoignent ceux de la Croix-Rousse qui occupent le centre de la ville. Le général Roguet profite de la nuit pour évacuer Lyon.

Les insurgés occupent aussitôt l’Hôtel de Ville et improvisent un gouvernement, ou plutôt une commission, dont la plupart des membres sont totalement inconnus du peuple. Comme il arrive dans la première heure d’un triomphe imprévu, les premiers arrivés s’imposent. Lachapelle, Charpentier, Frédéric, sont des chefs d’atelier estimés de leurs camarades. Mais Pérénon le royaliste, Garnier, Dervieux, Filhol, qui les connaît ? Le vieux conspirateur républicain Rosset, rallié un moment à la monarchie de Juillet, figure parmi eux, mais n’exerce aucune influence particulière.

Très embarrassés de leur victoire, les occupants de l’Hôtel de Ville acceptent d’entrer en pourparlers avec le préfet. Ils se considèrent si peu comme un pouvoir nouveau, qu’un d’entre eux, Lacombe, se laisse nommer gouverneur de l’Hôtel de Ville. Cette manœuvre adroite de Bouvier-Dumolard présente l’insurrection comme se niant elle-même, et divise les collègues du gouverneur improvisé.

Quelques-uns d’entre eux protestent contre cette nomination par une affiche conçue en termes violents. D’autres ouvriers désavouent cette proclamation, par affiche également, protestent contre l’abus qui a été fait du nom de Lacombe, dont le nom a été inscrit à son insu parmi les signataires de la proclamation. Cette proclamation singulièrement équivoque porte la marque des opinions carlistes de Pérénon. Cette querelle d’affiches déconcerte les ouvriers en armes, qui, d’autre part, n’ont plus d’ennemis à combattre. Les adjoints au maire sont revenus à l’Hôtel de Ville, où ils jouent le rôle de conciliateurs entre les chefs divisés, en réalité attisent leurs querelles, tandis que des affidés du patronat parcourent les rangs des soldats de l’insurrection et sèment le soupçon parmi eux.

Dans cet énervement de l’action ouvrière, privée de chefs par leurs divisions, les fabricants se ressaisissent, tiennent conseil, redonnent courage à la garde nationale bourgeoise. De leur côté, les administrateurs municipaux reprennent un à un leurs fonctions, que, tout à leur querelle, à leur désarroi et à l’angoisse du lendemain, les chefs insurgés ne songent guère à remplir. Bientôt, ceux-ci quittent l’Hôtel de Ville, dont les ouvriers, rentrés chez eux, se sont désintéressés.

À grand tapage de pitié, la bourgeoisie ouvre des souscriptions publiques pour les blessés, et, le 3 décembre, le maire annonce à la ville absolument pacifiée l’arrivée d’un corps de troupes conduit par le maréchal Soult et le jeune duc d’Orléans. L’armée rentra dans Lyon sans rencontrer la moindre résistance. La garde nationale fut licenciée, le préfet Bouvier-Dumolard disgracié et les tarifs supprimés. Rien ne bougea.