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prudence coupable envers leur cause, dans le sens de l’humanité ; ceux qui se disent les défenseurs de l’ordre et de la civilisation les violent dans le sens de la barbarie.

Les insurgés relâchent les prisonniers, les soldats de l’ordre les massacrent. Les insurgés de 1848 et de 1871 ne se mettront eux-mêmes au niveau de ceux-ci que dans le désordre des premiers mouvements ou dans les convulsions de la défaite, et d’atroces tueries ordonnées et systématiques répondront en représailles à des fureurs isolées que nulle autorité insurrectionnelle n’aura commandée.

Tandis que la fusillade éclate et que le canon tonne, élargissant le combat sur tous les points de la ville, gagnant la Guillotière et les Brotteaux, où se lèvent des foules armées sommairement qui tentent de passer les ponts et de rejoindre l’insurrection, le pillage et l’incendie vont sans doute venger les ouvriers ? Non. Ils bivouaquent, pendant la nuit, sur le seuil, respecté par eux, des maisons de leurs ennemis ; ils montent la garde à la Monnaie et à la Recette générale.

On ne cite qu’une exception : Des fenêtres d’une maison, les fabricants ont tiré sur les insurgés des Brotteaux, puis se sont enfuis. La maison a été saccagée et les meubles, jetés dans la rue, alimentent le feu du bivouac. En revanche, il existait à la Sauvagère un fabricant qui avait toujours manifesté des sentiments d’humanité envers ses ouvriers.

« Il fut tout étonné, nous dit Villermé, en sortant de chez lui dans la matinée du second jour ; de trouver à sa porte un homme en faction, qu’il reconnut aussitôt pour un de ses anciens ouvriers qu’il avait renvoyé à cause de son inconduite.

— Que fais-tu là ? lui dit-il.

— Je vous garde.

— Comment, tu me gardes ! Et pourquoi ?

— Parce que tous vos ouvriers se sont entendus pour vous défendre, afin qu’il ne vous arrive rien ; là, dans la maison, ils sont une douzaine, et nous nous relèverons tous ici pendant que ça durera.

— Mais tu n’es pas de mes ouvriers, toi ; je t’ai renvoyé.

— C’est vrai, mais j’avais tort. »

Ce matin-la trouva debout la masse ouvrière. Seuls firent défection à leurs frères, nous dit Proudhon, les rigues lyonnaises, associations de portefaix et crocheteurs, dont les membres recevaient alors un « salaire supérieur à ceux des professeurs de Faculté ». Confinés dans leur étroite solidarité corporative, ils étaient, nous affirme le moraliste révolutionnaire, « ivrognes, crapuleux, brutaux, insolents, égoïstes et lâches ». Ceux-là, comme généralement tous les « hommes de rivière », ne montrèrent aucune sympathie aux ouvriers en soie et certains, même, leur furent hostiles.

Le premier jour avait été un soulèvement désordonné, le second fut une bataille. Les Brotteaux, la Guillotière, Saint-Just étaient à présent hérissés de barricades. Le peuple avait des chefs : Lacombe, homme de grande résolution, très populaire : Michel-Ange Périer, un décoré de juillet, républicain, blessé la veille avec son ami Péclet. Le mouvement n’a n’ailleurs aucun caractère politique : tandis que des républicains combattent l’insurrection à côté des fabricants, d’autres, comme