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cants, ceux qui avaient à Paris une situation, des amis, une influence, commencèrent par informer le ministère du rôle joué par le préfet Bouvier-Dumolard. Ils l’accusèrent d’avoir trahi les intérêts de la fabrique pour se faire de la popularité, d’avoir enfreint la neutralité que les représentants du pouvoir doivent toujours observer dans les débats du travail et du capital.

Em même temps, cent quatre fabricants signaient une protestation contre le traité, le déclaraient d’ailleurs illégal autant qu’inexécutable, et engageaient leurs confrères à n’en tenir aucun compte. Ils ne furent que trop obéis. Les ouvriers assignèrent devant les prud’hommes les fabricants qui refusaient d’appliquer le tarif. Les prud’hommes condamnèrent les fabricants. Les ouvriers, alors, se tournèrent vers l’autorité, afin qu’elle fît exécuter la décision du tribunal.

Hélas ! l’autorité se trouvait bien empêchée. Casimir Perier avait donné des ordres à d’Argout, son ministre du Commerce, et d’Argout en avait donné au préfet. Ce d’Argout, rien ne peut mieux le peindre que le mépris où le tenait Casimir Perier. L’atrabilaire ministre traitait d’ailleurs mieux ses adversaires que ses amis, il faut lui rendre cette justice. Ses adversaires, il les combattait, violemment, rageusement, de toutes ses forces, en dépensant même sur eux plus qu’il n’était nécessaire, et c’était en somme une sorte d’hommage qu’il leur rendait. Quant à ses amis politiques, il les menait durement, les traitait en domestiques, sauf d’Agout, qu’il traitait comme un chien. Ceci est à la lettre.

Un jour qu’il s’éternisait à la tribune pour démontrer à l’opposition que les réfugiés militaires espagnols et polonais étaient, à égalité de grade, aussi tien traités que les Français, sinon mieux, Casimir Perier lui cria de son banc, ou plutôt siffla : « Ici, d’Argout ! » D’Argout regagna le banc des ministres sans un murmure. Il était bien dressé.

Dupin aîné prétend, dans ses Mémoires, que ce sont les députés du centre qui auraient dit : « Assez, d’Argout ! » pour qu’il cessât d’insister là-dessus « comme pour une apologie nécessaire ». On pourrait se résigner à croire Dupin si sa mémoire était d’ordinaire fidèle sur les faits qu’il raconte, et si ses Mémoires n’étaient à la fois une apologie personnelle et une œuvre de parti. Pour que M. Thureau-Dangin, dont on connaît la dévotion orléaniste, tienne le trait pour exact, il faut bien qu’il le soit.

La fabrique avait porté ses doléances à Casimir Perier, qui les avait transformées en ordres à d’Argout, et celui-ci avait tancé Bouvier-Dumolard en lui enjoïgnant de se tenir tranquille désormais. Le préfet, fonctionnaire avant tout, obéit à ses chefs et déclara piteusement que, le traité signé par les quarante-quatre n’ayant aucune valeur légale, les jugements du conseil des prud’hommes n’étaient pas exécutoires.

L’indignation fut au comble parmi les ouvriers. Révoltés d’un tel manquement à la parole donnée, au traité signé, ils se réunirent pour tenter d’obtenir, pacifiquement et par la seule force de leur entente et de leur endurance, les faibles avantages qui leur étaient audacieusement arrachés aussitôt que consentis. Déconcerté