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l’absolutisme hors de son propre territoire. Et voici que l’armée française occupait Ancône. Était-ce pour aider l’Autriche à rétablir l’absolutisme pontifical, ou pour empêcher cette puissance de le rétablir ?

Certes, le roi Louis-Philippe était conservateur et peu belliqueux. Mais il était le fils de Philippe-Égalité, et l’on savait que les scrupules ne l’étouffaient pas plus qu’ils n’avaient étouffé son père. On savait qu’un roi qui avait escaladé les barricades — après la bataille — pour conquérir un trône, pourrait ne pas hésiter à seconder les barricadiers d’Italie ou d’ailleurs, s’il n’était pas d’autre moyen d’y demeurer assis.

Il s’engagea formellement auprès des cours à retirer ses troupes en même temps que les troupes autrichiennes évacueraient les légations, une fois l’ordre rétabli. Metternich lui fit confiance et le cautionna. Il avait le bon esprit de comprendre qu’une attitude nettement réactionnaire eût contraint Louis-Philippe à céder la place à la révolution, ou à la suivre.



CHAPITRE III


L’INSURRECTION DE LYON


Situation de la fabrique lyonnaise en 1831. — Ce qu’étaient les canuts, au physique et au moral. — Fabricants d’un côté, chefs d’atelier et compagnons de l’autre. — Les ouvriers s’agitent pour le relèvement des tarifs. — Les patrons, soutenus par le pouvoir, violent l’engagement signé par leurs délégués. — Ils fusillent les grévistes et la grève se change en insurrection. — Vivre en travaillant, ou mourir en combattant ! — Maîtres de la ville, les ouvriers se divisent et rentrent chez eux. — L’insurrection est vaincue sans combat. — Pourquoi il n’y a pas eu de répression violente.


À l’agitation parisienne pour le droit des peuples à l’existence et pour leur liberté, qui par instants put faire croire que, balayant le trône, le peuple français, allait à la fois prendre sa revanche de Waterloo et déchaîner la révolution en Europe, s’ajouta dans le même temps une autre agitation qui grandit rapidement et, par une insurrection imprévue, fit apparaître dans l’histoire un élément révolutionnaire qui n’en devait plus sortir désormais. Paris se soulevait pour conquérir la liberté et l’apporter aux peuples. Lyon s’insurgeait pour donner au peuple souverain le premier et indispensable attribut de la souveraineté : le pain quotidien.

Ce mouvement prolétarien, qui surprit et déconcerta les doctrinaires du libéralisme et les formalistes de la république, a ceci de caractéristique de ne se réclamer d’aucune tradition, de n’affirmer aucune théorie. Il est informe et chaotique en apparence. En réalité, il place au premier plan le problème essentiel : le droit du travailleur à l’existence. N’affirmer que cela, ne le rattacher à aucun des systèmes