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que le duc de Mortemart, envoyé par Charles X, le rejoignit. Remarquons ceci : la première personne que voit Louis-Philippe, ce n’est ni un républicain de l’Hôtel de Ville ni même un de ses partisans de l’entourage de Laffitte, mais l’envoyé du roi. Si celui-ci reprend l’offensive et triomphe de la révolution, il ne pourra imputer à son parent des démarches et des actes qu’il n’a pas même autorisés d’un signe. Si la révolution est victorieuse, rien à risquer non plus, puisque ceux qui sont à la tête de cette révolution travaillent pour lui bien mieux que s’il venait les gêner de sa collaboration. Nous le verrons, trois jours plus tard, alors qu’il a accepté officiellement la fonction de lieutenant-général du royaume, et virtuellement la candidature au trône, prendre encore ses sûretés au cas d’un retour de Charles X.

D’après le duc de Valmy, qui l’a publiée dans un ouvrage ultra-royaliste, car ce petit-fils de Kellermann fut un dévot de légitimité, voici le texte de la lettre que Louis-Philippe remit non cachetée au duc de Mortemart pour Charles X, et que le duc emporta dans un pli de sa cravate :


M. de… dira à Votre Majesté comment l’on m’a amené ici, par force : j’ignore jusqu’à quel point ces gens-ci pourront user de violence à mon égard, mais s’il arrivait (mots rayés), si, dans cet affreux désordre, il arrivait qu’on m’imposât un titre auquel je n’ai jamais aspiré, que Votre Majesté soit convaincue (mot rayé), bien persuadée que je n’exercerais toute espèce de pouvoir que temporairement et dans le seul intérêt de notre maison. J’en prends ici l’engagement formel envers Votre Majesté. Ma famille partage mes sentiments à cet égard.

Fidelle sujet. »
« Palais-Royal, juillet 31, 1830. »


Cette lettre est-elle apocryphe ? Les raisons qui font croire à sa réalité sont aussi fortes que les raisons contraires. M. Thureau-Dangin, dont les sentiments orléanistes sont bien connus, s’est attaché avec soin, dans son Histoire de la Monarchie de Juillet, à justifier Louis-Philippe de toutes les imputations calomnieuses, ivraie de l’histoire, qui tentent d’enlaidir les belles figures et de rendre les autres plus repoussantes encore. Si, d’autre part, M. Thureau-Dangin a eu trop le respect de sa qualité d’historien pour embellir quand même les traits de son héros, il ne s’est pas fait faute de passer parfois sous silence des faits authentiques qui en montraient les tares secrètes. Or, il ne dit mot, ni du récit de Louis Blanc, qui mentionne le fait sans donner le texte de la lettre, ni de ce texte publié en 1850 par le duc de Valmy. Les raisons de croire cette lettre authentique sont donc très fortes, outre qu’elles sont absolument dans la logique du caractère permanent et des actes actuels du duc d’Orléans. Et pourtant, un doute subsiste : Comment Charles X, comment le parti royaliste n’ont-ils pas souffleté de cette lettre terrible le prince parjure, lorsqu’il enferma la duchesse de Berri dans la citadelle de Blaye et la déshonora devant le monde entier ? Charles X n’était pas méchant, certes ; mais il n’avait pas l’âme grande, et l’on était très vindicatif dans son entourage.

Faut-il croire que le duc de Mortemart ne remplit pas le message dont il avait