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quait le principe de la non-intervention, d’avoir laissé la Prusse violer ce principe en faveur de la Russie et de ne l’avoir, d’autre part, pratiqué que pour permettre à cette dernière puissance de consacrer toutes ses forces à l’écrasement de la Pologne. Car c’était favoriser la Russie qu’avoir rappelé notre ambassadeur à Constantinople, le général Guilleminot, qui poussait la Turquie à profiter des embarras du gouvernement de Saint-Pétersbourg.

L’opposition n’avait raison qu’en apparence. Autant, en effet, le cabinet Casimir Perier eût été fondé à exiger de la Prusse une neutralité que celle-ci n’eût-d’ailleurs pas consentie, autant il se trouvait sans arguments contre les récriminations de la Russie sur l’attitude de notre ambassadeur à Constantinople. Répondre à une intervention favorable par une intervention hostile, même indirectement, ce n’est ni respecter le principe de la non-intervention, ni le faire respecter.

Étant donnée l’attitude de l’Angleterre, bien résolue à ne pas intervenir en faveur de la Pologne, le gouvernement français ne pouvait ni laisser le général Guilleminot l’engager et le compromettre dans ses démarches auprès du sultan, ni sommer la Prusse de rester neutre. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’était grouper contre la France, réduite à l’appui bien incertain et en tout cas bien indirect de la Turquie, les trois puissances qui s’étaient partagé la Pologne en 1793, c’était reformer contre nous la Sainte-Alliance et déchaîner sur notre pays le péril, et l’exposer aux désastres subis en 1814 et en 1815.

L’effervescence dans Paris fut stérile, dit Louis Blanc. Elle ne pouvait être qu’une manifestation de douleur impuissante. Les républicains français ne se faisaient que trop illusion sur les forces du libéralisme en Europe et surtout sur les sentiments du peuple allemand à notre égard. Et Thiers, dans la séance du 19 septembre, résuma la situation en termes saisissants lorsque, parlant de l’impossibilité de secourir la Pologne, il s’écria : « Pouvons-nous refaire ce que n’a pu faire ni la République, ni Napoléon ? » Il eût été juste d’ajouter que Napoléon put, à un moment, et ne voulut pas. Ses armées n’envahissaient pas les royaumes pour fonder ou restaurer les nationalités, le temps des guerres de propagande ayant passé avant qu’il parût, mais pour les broyer, les rançonner et y lever les soldats des futures conquêtes impériales.

Dans le cas où la France fût intervenue, soit par une sommation à la Prusse, soit par la diversion turque, était-ce l’Italie, alors en rumeur et en mouvement de révolution, qui eût contraint l’Autriche à porter toutes ses forces de ce côté et à priver la Russie de son concours ? Le croire serait s’exagérer singulièrement l’importance, comme force et comme étendue, du mouvement qui agitait alors l’Italie.

D’autre part, l’Autriche eût alors fait bon marché de sa crainte qu’une diversion polonaise en Galicie ne vînt l’empêcher de se porter au secours de la Russie. Elle assurait en effet aux Polonais du royaume de Galicie leur domination sur les Ruthènes. Il lui eût été, par conséquent, assez facile de tourner ceux-ci contre leurs oppresseurs.

Il est à remarquer que le mouvement insurrectionnel qui éclata en Italie ne