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« Pour la première fois, dit M. Thureau-Dangin, on se sentit sûr d’échapper à la guerre. » Car, pour Casimir Perier, la guerre « serait la coalition au dehors et la révolution au dedans. »

Cette attitude excite l’indignation de Louis Blanc, qui s’étonne qu’après « la Convention, l’Empereur et la révolution de juillet, la France se trouve plus petite qu’elle ne l’était sous Louis XV ». Comment ! s’écrie-t-il, « il suffit à la France d’un effort de trois jours pour donner une secousse au monde », et on n’emploie pas cette « force » qui « ne nous appartient pas », qui « appartient à l’humanité ! » Et il déplore amèrement qu’on n’ait pas su revenir « à ce mélange d’impétuosité et de discipline, à cet enthousiasme réglé, d’où sortirent les triomphes de notre première révolution ». Aussi accable-t-il de ses sévérités le parti libéral, cette « école tout à la fois anarchique et timide », qui se borne à faire des vœux pour le succès de la révolution en Europe et, la paie de demi-promesses, retirées à demi par des demi-réticences, la déconcerte et, finalement, l’abandonne aux coups de l’absolutisme.

Aussi, lorsque la Belgique songe à se donner un roi, n’est-il pour Louis Blanc. « que deux candidatures sérieuses : celle du duc de Nemours et celle du duc de Leuchtenberg », car l’une et l’autre « convenaient à la France ». Par l’une comme par l’autre, la Belgique préparait sa réunion à la France : Le duc de Nemours, étant le second fils de Louis-Philippe, pouvait espérer réunir à sa couronne celle de son père ; quant au fils d’Eugène de Beauharnais, son accession au trône de Belgique lui permettrait un « jour » de « demander à la France une plus brillante couronne, et lui offrir en échange un beau royaume ».

C’est précisément parce que Louis-Philippe prévoyait cette dernière éventualité qu’il faisait combattre la candidature de Leuchtenberg par ses agents auprès du Congrès belge. Et lorsque cette candidature faisait trop de progrès, il laissait ces agents s’engager et promettre ouvertement aux députés belges que le roi des Français n’empêcherait pas son fils d’accepter la couronne si elle lui était offerte par le Congrès.

Bien entendu, le roi ne se faisait aucune illusion. Il savait par Talleyrand que l’Angleterre n’accepterait pas cette annexion à peine déguisée de la Belgique à la France. Le vieux diplomate, qui achevait sa carrière si agitée dans le poste d’ambassadeur à Londres, se fit-il, par vénalité ou faiblesse d’esprit, l’instrument de l’Angleterre contre les sentiments et les intérêts de la France ? Un tel personnage est, certes, sujet à caution, et il n’en était pas à une trahison près.

Henri Heine raconte plaisamment que lorsqu’il prit congé du roi, pour se rendre à Londres, celui-ci lui dit : « M. de Talleyrand, quelque considérables que soient les offres qu’on pourra vous faire, je vous donne le double dans tous les cas ». Louis-Philippe avait certainement d’autres moyens de se faire entendre à demi-mot d’un esprit aussi avisé. D’ailleurs, la précaution eût été parfaitement inutile.

La vérité est que Talleyrand entra exactement dans les vues de Louis-Philippe et le renseigna d’autre part avec fidélité — si un tel mot ne jure pas, s’appliquant à un tel homme — sur les sentiments de l’Angleterre et des puissances réunies à la con-