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ment ruiné dans l’esprit public par deux révolutions. Il oublie que la soupape de sûreté de la classe en possession du pouvoir consiste en ce qu’elle n’est pas une classe de sang, mais de richesse. On naît noble ou roturier et l’on demeure tel ; dans le régime des classes de sang, des castes. Tandis que, dans le régime bourgeois, c’est une sauvegarde pour les possesseurs de la richesse et du pouvoir que de montrer la richesse et le pouvoir non comme le privilège d’une classe fermée, mais comme la récompense promise aux efforts des plus laborieux et des plus intelligents. La richesse est héréditaire ; mais on peut dissiper son héritage, et il peut être recueilli et mis en valeur par un prolétaire laborieux et intelligent, à qui cette richesse acquise par son effort donnera participation au pouvoir politique. C’est la doctrine qui est encore enseignée aux enfants de l’école primaire dans les divers manuels d’éducation civique, tout au moins en ce qui concerne la conquête individuelle du pouvoir économique.

Il nous faut rapprocher l’argumentation de Louis Blanc de celle des saint-simoniens, qui intervinrent dans cette discussion. Les partisans de l’hérédité avaient menacé la Chambre des applications du principe à la propriété elle-même, en faisant allusion à la prédication saint-simonienne. Laurent répondit le 9 octobre, dans une conférence faite à la salle de la rue Taitbout, en appelant la création d’un parti qui classerait les hommes « sur la part que chacun prendra à la production et à la distribution du bien-être universel, sur la mise et le lot de chacun dans les travaux et les bénéfices de l’association, sur la valeur réelle, le mérite, les services des individus ». Ce parti rallierait à lui « les travailleurs de toutes les opinions et de toutes les croyances pour ne plus former qu’une seule et grande division dans l’État, celle qui met d’un côté les classes nombreuses qui produisent tout et ne possèdent rien, et de l’autre la minorité qui ne produit rien et qui jouit de tout. »

Laurent ajoutait : « Ce parti est venu : c’est nous qui en proclamons l’existence, c’est nous qui avons déployé le drapeau. » Il semble, à entendre ce langage, que la politique de classe du prolétariat soit affirmée. Mais on ne doit pas oublier que, dans la doctrine saint-simonienne, on ne rompt avec l’hérédité politique et propriétaire, que pour marcher « majestueusement à la hiérarchie des capacités, à la noblesse intellectuelle, à l’aristocratie des talents et des vertus », en conservant à la tête du prolétariat libéré de la faim et de ses servitudes les plus abjectes le groupe de banquiers, d’industriels, de savants et d’artistes qui doivent bénéficier des avantages de la société fondée sur le travail dans la mesure des services qu’ils lui rendent. L’orateur saint-simonien dépassait donc la doctrine lorsque, précisant son appel à l’organisation de classe du prolétariat, il s’écriait :

« Oui, le moment est venu de rallier les travailleurs. Les anciens préjugés et de vieilles haines divisent ; le moment est venu de donner une discipline, une organisation, une forme régulière et légale aux réclamations des classes pauvres qui font de l’insurrection royaliste ou de l’émeute républicaine selon que leur ignorance et leur misère se produisent à Paris ou en Vendée. » Et passant à la question