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un catafalque les insignes épiscopaux du mort, font célébrer l’office par trois prêtres amenés de Paris, et, escortés de vingt mille manifestants, ils traînent à bras le corbillard jusqu’au cimetière Montparnasse où se fait l’inhumation.

Thibaudeau, ancien conventionnel, prit la parole, et remercia la révolution de juillet d’avoir associé la Convention nationale au trône, et le gouvernement « d’avoir ouvert aux conventionnels, pour leur défense, cette tribune de la mort ». Il justifia la sentence de mort prononcée par le défunt et par lui-même contre Louis XVI, en s’écriant à l’adresse des hommes qui venaient de faire la Révolution : « Que leur a-t-il manqué pour être ce que, par un haineux abus de la langue, ils ont appelé régicide ? Que Charles X fût fait prisonnier et que le peuple le leur livrât. » Vingt ans plus tard, Thibaudeau associait de nouveau à sa manière la Révolution au trône et entrait des premiers dans le Sénat du second Empire.

Quelques jours plus tôt, Casimir Perier s’était montré moins tolérant pour une autre manifestation. Les républicains, désireux de tirer bon parti de l’acquittement des dix-neuf, entretenaient l’agitation dans Paris, se mêlant à tous les mouvements populaires et au besoin les suscitant. Ils étaient parfois peu soucieux de conserver à leur action démocratique toute sa pureté, et non seulement laissaient se mêler à leurs rangs des bonapartistes qui acclamaient Napoléon II, mais encore participaient aux manifestations napoléoniennes.

Une commune hostilité contre un gouvernement résolu à ne pas entrer en guerre avec les puissances, et qui décevait à la fois les rêves de conquête caressés par les uns et les espérances de libération des peuples formées par les autres, les réunit dans une manifestation faite le 5 mai autour de la colonne Vendôme pour commémorer l’anniversaire de la mort de Napoléon. Le gouvernement ayant fait enlever les couronnes déposées par les bonapartistes, la foule s’ameuta et tandis que les uns acclamaient la République, les autres distribuaient des portraits du fils de Napoléon, dont on entretenait soigneusement la légende dans le peuple. Casimir Perier dispersa ces attroupements avec vigueur.

Par une sorte de bravade qui était dans son caractère, le nouveau ministre entreprit de transformer en manifestation de loyalisme la distribution des récompenses nationales votées par la Chambre aux combattants des trois journées. Il soumit donc à la signature du roi une ordonnance créant une médaille commémorative, qui serait remise aux titulaires dans une grande cérémonie, aux Invalides, les nouveaux décorés prêteraient serment entre les mains de Louis-Philippe. Le dessein de Casimir Perier était très clair : il tendait à établir que la révolution n’avait été faite que pour asseoir sur le trône un Bourbon dont les sentiments fussent plus conformes au sentiment national. Fidèle à la doctrine de la quasi légitimité, le ministre, intervertissant audacieusement les situations, ne donnait pas au roi l’investiture révolutionnaire ; il faisait récompenser les fidèles sujets qui avaient ouvert, par des moyens un peu vifs, la succession au trône, occupé par la famille du nouveau roi huit siècles durant.

Cette ordonnance fit grand bruit. Les libéraux de gauche et surtout les répu-