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En attendant que soit élaboré le plan d’une « vaste institution de crédit », le ministre du commerce « présentera un projet de loi relatif à la réforme du Code hypothécaire et à la mobilisation du sol, qui aura pour effet de faire disparaître le caractère féodal dont les lois qui régissent la propriété sont encore empreintes ». Ce programme économique est aussi vague que général. Il annonce bien que les ministres « proposeront des mesures propres à améliorer le sort du travailleur emprunteur relativement au prêteur, celui du locataire et du fermier relativement au propriétaire » ; il promet bien un projet « qui sera de nature à produire une baisse de l’intérêt en matière de crédit public et de crédit privé ». Mais, pour le public non initié à la doctrine, un tel langage ne dit rien. Le saint-simonisme, nous le verrons plus loin, ne pouvait dire davantage sans s’écarter de ses principes économiques qui reposaient sur la substitution de la propriété industrielle mobilière à la propriété agraire et féodale, et sur l’organisation hiérarchique, par les chefs d’industrie, du monde du travail.

Il est juste d’ajouter que seul le mérite donnait accès aux divers degrés de cette hiérarchie industrielle. Le « message » saint-simonien ne l’oubliait pas, et il l’affirmait en ces termes :

« Les privilèges héréditaires, monuments des temps d’esclavage, doivent disparaître. Mes ministres vous proposeront l’abolition de l’hérédité de la pairie, qui préparera les esprits à la suppression graduelle de toutes transmissions héréditaires des avantages sociaux. » La question de la suppression de l’héritage est ainsi très adroitement introduite. Si la puissance politique ne doit pas être transmise héréditairement, de quel droit la puissance économique, la propriété qui en est le fondement, le serait-elle ?

Puis, précisant, le roi saint-simonien qui ne craint pas d’augmenter le budget, car il est « persuadé que le gouvernement le plus économe n’est pas celui qui dépense le moins, mais celui qui dépense le mieux », projette de se procurer des ressources nouvelles « par un impôt progressif sur les successions et par la suppression de l’hérédité en ligne collatérale ». Des quatre-vingts millions ainsi recueillis annuellement par l’État, le « discours de la couronne » propose d’en consacrer quarante « à fonder par toute la France de vastes écoles » pour les enfants de « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », celle « qui joue le rôle le plus important dans la création de la richesse sociale » et qui « doit être retirée de l’état d’abaissement où elle est plongée » : dans ces écoles, ils « recevront une éducation morale, scientifique et industrielle, conforme à leurs degrés divers de capacité. Une autre somme de quarante millions sera consacrée à doter des banques qui leur fourniront des capitaux au sortir de ces écoles ».

Ce discours dont n’approchent point encore les discours-programmes ministériels d’aujourd’hui, déclarait bien prématurément — mais n’est-ce pas le privilège et le devoir des novateurs ! — que la France voulait « le travail », et ne voulait « plus d’immobilité, de privilèges héréditaires », ni « d’oisifs » et qu’elle avait « soif de développement industriel et scientifique », et « soif d’association ». C’était