Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un mystère de conscience que nul, et parfois l’intéressé lui-même, ne peut approfondir. Mais dire qu’un homme est l’homme d’une classe, en fût-il un des représentants les plus intéressés, c’est lui reconnaître en somme un caractère de grandeur qu’on doit refuser à l’égoïste pur et simple, confiné dans la gestion de ses intérêts propres. Or, il est certain que Casimir Perier fit à sa classe, à son parti, le sacrifice de son repos, et même de sa vie. Et il le fit délibérément, car les inquiétudes que lui donnait sa santé balancèrent quelque temps son amour du pouvoir. « Avant un an, vous le verrez, j’aurai succombé, » disait-il au général de Ségur le matin du 13 mars. Il ne se trompait que de quelques semaines.

Pouvait-il confondre le dévouement à sa classe, à son parti, avec l’amour de son pays ? Oui, certainement. Il avait toujours combattu le parti légitimiste et clérical, et ses folles tentatives de retour au passé. D’autre part, le « mouvement » se composait de libéraux incapables de contenir les forces révolutionnaires qu’ils avaient déchaînées. Et ces forces révolutionnaires, assez puissantes pour agiter le pays, étaient incapables, par la pensée autant que par le nombre, de le gouverner.

Comment, à défaut des motifs profonds que nous lui connaissons, Casimir Perier eût-il eu foi dans la démocratie lorsque les démocrates les plus illustres, Lafayette et Béranger, considéraient encore Louis-Philippe comme la meilleure des Républiques ! Il faut ajouter qu’en dépit d’Armand Carrel et sous l’impulsion du petit groupe babouviste, les républicains ne se réclamaient pas seulement de 93 : ils mêlaient les réformes sociales à leurs aspirations de terrorisme.

Ce qui rendait Carrel soucieux et hostile devait à plus forte raison avoir toute la haine de Casimir Perier. Comment, enfin, eût-il traité en hommes libres dans l’État les hommes asservis qui peinaient dans ses mines et ses manufactures !

Sauf le baron Louis et l’amiral de Rigny, nommés aux Finances et à la Marine, le ministère Casimir Perier se composa des mêmes hommes que celui de Laffitte. Sébastiani conservait les Affaires étrangères, et Soult la Guerre ; Barthe passait de l’Instruction publique à la Justice, d’Argout de la Marine au Commerce, et Montalivet, cédant l’Intérieur à Casimir Perier, prenait l’Instruction publique. C’étaient les mêmes ministres, mais c’était un tout autre ministère. Le fait sera fréquent, dans notre histoire parlementaire, de ministres changeant de direction en même temps que de directeur. Ceux du 13 mars avaient fait du mouvement, ou plutôt de l’inertie, avec Laffitte, en trahissant à la fois Laffitte et le mouvement de tout leur pouvoir. Ils firent de la résistance, et cette fois de tout leur cœur, avec Casimir Perier.

Le programme du nouveau ministère, lu à la Chambre le 18 mars, peut se résumer ainsi : guerre à la démocratie et à tout effort vers la liberté ; paix avec l’Europe monarchique, alliance avec l’absolutisme pour réprimer toute agitation libérale. La révolution de Juillet n’existe pas, elle est non avenue ; on ne peut donc se fonder sur elle pour justifier la marche en avant. La monarchie continue, et ce n’est pas des barricades que la branche cadette des Bourbons tient la couronne, mais de l’abdication du chef de la branche ainée. M. Thureau-Dangin est forcé