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une bourgeoisie plus occupée d’intérêts que de principes, plus accessible à la peur qu’à la foi. » Ce trait dit tout sur la valeur morale de l’homme et de la classe qu’il représentait au pouvoir.

Évidemment, il avait l’honnêteté du doit et de l’avoir. Né riche, doué d’une grande activité qu’il n’avait pas exclusivement tournée vers les choses de la politique, secondé par tous ses proches dans de communes entreprises de banque et d’industrie, mines d’Anzin, fonderies de Chaillot, raffineries, tissages, etc. il n’avait pas eu besoin du pouvoir pour faire sa fortune par les moyens alors ouvertement reprochés à Thiers.

Mais, si elle prit sa santé et sa vie, qu’il eut d’ailleurs dépensées avec la même fougue dans les luttes de la banque et du négoce, la politique ne desservit pas ses intérêts : on put, sans le calomnier, mettre au nombre des motifs qui le portèrent à s’opposer à l’annexion de la Belgique, la crainte de la concurrence que les charbonnages de ce pays feraient aux mines d’Anzin.

De telles attaques, lancées par la presse républicaine, qui poussait imprudemment à l’annexion, le mettaient dans un état d’exaspération qu’il était incapable de maîtriser, même à la tribune. Les écarts où le poussait un tel caractère, tout entier dominé par les impulsions du tempérament, lui faisaient souvent commettre des maladresses et des injustices, dans lesquelles ses amis hésitaient à le suivre : « Je me moque bien de mes amis quand j’ai raison, s’écriait-il alors ; c’est quand j’ai tort qu’ils doivent me soutenir. » La politique est encore aujourd’hui dominée par de tels principes, et les partis ont leur raison d’État qui passe avant la raison et la justice. Il appartient au socialisme d’y introduire d’autres mœurs, en donnant au peuple une éducation civique et morale qui fasse cesser toute contradiction entre les règles de la vie privée et celles de la vie publique.

Loyal, Casimir Perier l’était à la manière de quiconque a la force pour soi, en est orgueilleux et peut dédaigner la ruse et le mensonge, ces armes du faible. Il lui était facile, d’ailleurs, de conserver sa réputation de loyauté, sa situation et son caractère le tenant très au-dessus des agents d’exécution, qui prenaient la responsabilité en même temps que la charge des besognes avilissantes et se payaient de leurs mains. Tel ce Gisquet, un des commis de sa banque, devenu raffineur et homme de Bourse, qui entreprit pour son propre compte une opération de fourniture de fusils anglais au gouvernement français. Ces fusils avaient été payés fort cher et étaient absolument défectueux. Les hommes d’affaires qui avaient soumissionné cette fourniture et avaient été évincés firent tapage. Armand Marrast s’empara de l’affaire dans la Tribune du 9 juillet. Poursuivi, il fut condamné, la preuve de la diffamation contre les particuliers n’étant pas admise devant les tribunaux. Cependant, Gisquet avait reçu à l’origine un mandat du gouvernement pour cet achat de fusils. Mais il s’était transformé de mandataire en fournisseur, et sa « commission » était devenu un « honnête bénéfice ». Trois mois après ce scandale, le 14 octobre 1831, il était nommé préfet de police.

Casimir Perier aima-t-il la cause qu’il servait, ou seulement le pouvoir ? C’est