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notre langue, voulaient garder nos lois », désirèrent nous appartenir, par orgueil. Adopter le Code français, mieux approprié à l’état économique et social du temps et du milieu que les coutumes confuses du moyen âge, dont les autres législations d’Allemagne ne s’étaient pas encore débarrassées, cela ne voulait pas dire adopter la souveraineté française. Des affirmations comme celle de Louis Blanc, qui étaient monnaie courante en 1830 et le furent jusqu’en 1870, attiraient aux publicistes français des répliques comme celle de la Gazette d’État, de Berlin, pour qui les « frontières naturelles de la France étaient les Vosges et les Ardennes ».

Il y a dans le ton belliqueux des libéraux et des républicains de 1830 la preuve que, selon l’expression de M. Thureau-Dangin, la France était « mal guérie des ivresses napoléoniennes », puisque les tenants de la liberté permettaient aux Français une « ambition sans limites » et que, ajoute Louis Blanc, « tout pouvoir digne de les gouverner allait évidemment par eux gouverner le monde ». Dépassant même en pensée l’effort de la Convention, l’auteur de l’Histoire de Dix ans s’écrie : « Les événements appelaient notre patronage à Constantinople et nous donnaient, avec l’empire des sultans raffermi, le moyen de sauver la Pologne. L’uniforme de nos soldats, brillant sur le sommet des Alpes, suffisait pour l’indépendance de l’Italie. Nous pouvions offrir aux Belges, pour prix d’une fraternelle union, la substitution du drapeau tricolore à l’odieux drapeau de la maison d’Orange, et nos marchés, non moins opulents que ceux des colonies hollandaises. En nous déclarant avec énergie pour dom Pedro, nous forcions les Anglais à contracter avec dom Miguel une alliance exécrable, et nous sapions à Lisbonne leur domination déshonorée. Nous emparer moralement de l’Espagne était facile, car nous n’avions pour cela qu’à pousser contre deux fonctions monarchiques, ardentes à s’entre-détruire, les réfugiés espagnols invoquant le magique souvenir des Cortès de 1820. »

Tandis que pour Louis Blanc « il suffisait que le drapeau tricolore fût déployé et vînt rappeler aux vieux soldats que la dernière amorce de Waterloo n’était pas encore brûlée », le National demandait la « revision immédiate » des traités de 1815, et déclarait que « la patrie n’est pas heureuse quand elle n’est pas suffisamment glorieuse. » La Tribune, de son côté, dans son numéro du 3 décembre, exige que l’on fortifie Paris. Dans le numéro de l’avant-veille, elle a pressé le ministère de mettre « une armée formidable entre les frontières et Paris ». En novembre, elle s’est vantée d’avoir osé « ressusciter, avec le mot patriote, les idées patriotiques ». Elle a exprimé ce regret : « L’élan prodigieux du peuple n’a pu, au bout de trois mois, nous procurer une armée ». « Nous voulons bien, dit-elle, ne pas qualifier encore le parti qui nous est opposé ; ceux qui appellent démagogues les amis de la dignité nationale pourraient donner à penser qu’ils appellent amis de l’ordre les amis de l’invasion. »

Contraindre la Prusse à reprendre son rang dans la Sainte-Alliance, y jeter l’Angleterre malgré son gouvernement libéral, voilà l’admirable politique que, par l’intervention en Portugal et la conquête du Rhin, les chefs de la démocratie